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Au cur des services spéciaux. La menace islamiste : fausses pistes et vrais dangers
Alain Chouet, entretiens avec Jean Guisnel Paris, La Découverte, 2011, 319 p.
Alain Chouet est entré en 1972 au SDECE (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage), devenu DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure) en 1982. Il préfère le terme de « services spéciaux » à celui de « services secrets ». Ces organismes ont, en effet, une existence publique, même s’ils suscitent toujours un certain nombre d’interrogations, voire de fantasmes.
Depuis déjà quelque temps, dans les pays occidentaux, c’est une mode de voir les anciens responsables de services spéciaux qui par obligation avaient fui toute déclaration publique lorsqu’ils étaient en fonction, publier leurs souvenirs à peine leur pot de départ en retraite bouclé. Cela donne une littérature d’intérêt inégal. Avec le livre d’A. Chouet, écrit avec Jean Guisnel, Au cœur des services spéciaux, on est dans le meilleur. Le propos est sans contexte plus original que le titre ne le laisse supposer.
J. Guisnel pose les bonnes questions et A. Chouet y répond avec autant d’érudition que d’humour, ce qui le distingue de ce qu’il qualifie « les experts autoproclamés et apocalyptiques qui en font commerce sur les plateaux télé et entrent complètement dans la stratégie des terroristes. Ils en sont les auxiliaires particulièrement appréciés et recherchés. » (p. 58). Il estime en effet que les médias entrent dans la logique des terroristes en faisant de la surenchère sur les attentats.
Selon lui, le principal danger vient de l’alliance entre l’Arabie Saoudite et les Frères musulmans. Les Saoudiens qui financent écoles, centres culturels ou sportifs, imams et mosquées dans le monde musulman et dans les communautés immigrées en Occident, ne disposent d'aucun moyen humain pour animer ces structures. Ces moyens vont être fournis par les Frères musulmans. Il explique que l'influence des Saoud dans le monde musulman constitue un excellent contre-feu aux dérives sociales, libérales, nationalistes et tiers-mondistes qui pourraient aboutir ici ou là à des contestations de l'hégémonie économique américaine. C’est pourquoi l’alliance conclue entre les Saoud et Washington a résisté à toutes les vicissitudes depuis 1945.
Contrairement à une idée largement enracinée, A. Chouet pense que les Algériens auraient pu laisser le processus électoral aller à son terme comme en Turquie. Sur les mêmes bases constitutionnelles, l'armée algérienne serait restée dans ses casernes et aurait dit au FIS : « les élections vous ont donné le pouvoir, exercez-le, mais si vous touchez la constitution dont l'armée est garante nous sortirons des casernes pour vous chasser. Le FIS serait arrivé au pouvoir par les urnes, il l’aurait perdu par les urnes au bout de deux ou trois ans car tous les Algériens se seraient aperçus que le FIS ne pouvait pas faire de miracle. ».
A. Chouet note que la première question posée par Bush après le 11 septembre, « mais pourquoi nous haïssent-ils tant ? », était la bonne et a vite été balayée au profit d'une autre, « mais comment ont-ils fait ? » (p. 165). Les attaques étaient un crime, il fallait rechercher et punir les auteurs. La Maison-Blanche en a fait une déclaration de guerre planétaire. Cela faisait l’affaire des services de sécurité américains et de la nomenklatura militaro-industrielle. Tout en désignant Ben Laden comme le grand ordonnateur du terrorisme mondial, l’administration Bush s’est bien gardée de faire de sa capture un but de guerre. Alors que Saddam Hussein et des dignitaires irakiens ont été trouvés facilement malgré les soutiens énormes dont ils bénéficiaient dans leurs pays, Ben Laden et le mollah Omar ont longtemps échappé aux Américains. Si Ben Laden avait été capturé, quelle aurait été la justification pour l'armée ou la diplomatie américaines d'intervenir en tout temps et en tout lieu ? Une fois que l'hypothèse d'une négociation avec les Talibans pour la reconfiguration de l’Afghanistan est devenue incontournable on a facilement trouvé Ben Laden.
Il note également qu’on trouve des conseillers militaires américains au Sahel, en Arabie Saoudite, dans les Émirats, au Yémen, au Pakistan, dans les petites républiques musulmanes d'Asie centrale, tous arrivent sur site avec leurs certitudes de l'Ouest, leur mépris des autochtones, ils se font haïr de tout le monde. Selon lui, cette guerre de la terreur est la mère de toutes les guerres car elle pose les fondements d'une haine durable entre le monde musulman et l'Occident et fait le jeu des terroristes djihadistes.
Ce livre fourmille de réflexions stimulantes et donne un éclairage pertinent sur les relations entre le monde occidental, le terrorisme et le complexe militaro-industriel.