Les ouvrages traitant des enjeux liés à l’eau douce renouvelable ne se comptent plus. Il n’y avait pas de raisons d’échapper à une telle tendance, alors que s’est tenu en mars 2009 le 5e Forum mondial de l’eau à Istanbul.
Cela étant dit, dans ce flot de publications, il n’est pas inutile de retenir le livre L’eau : Pour une culture de la responsabilité, d’Antoine Frérot, directeur général de Veolia Eau. On sait en effet que les temps ne sont pas toujours évidents pour les dirigeants de multinationales à qui l’on reproche souvent une quête exclusive de la rentabilité.
Contrairement à ce à quoi l’on pouvait peut-être s’attendre, A. Frérot signe ici un ouvrage subtil, et brillant aux yeux de ceux qui feront abstraction de sa fonction. Car il n’étonnera finalement pas grand monde de voir que le directeur général de Veolia Eau use aussi ici d’arguments alarmistes afin de mieux servir sa cause.
La première partie de l’ouvrage, intitulée « Le siècle de l’eau », mérite à elle seule de compter, à quelques nuances près, au rang des documents de référence sur les enjeux liés à l’eau douce. Des usages abusifs aux problèmes physiques et naturels à l’échelle du globe en passant par la problématique de l’assainissement, le poids des pollutions ou encore le nombre de personnes démunies d’un accès à l’eau potable, les constats pragmatiques sont tous au rendez-vous. Seul bémol : le cas de l’Union européenne est abordé ici à travers un prisme réaliste, mais partiel aussi. Pas un mot en effet sur les effets pernicieux qui pourraient découler de la directive-cadre sur la qualité des eaux européennes du 23 octobre 2000. Or, celle-ci concentre un enjeu de taille : l’impératif qu’il y aura très probablement pour les gouvernements européens de s’en remettre à termes à des compagnies du secteur privé si elles veulent respecter les obligations qualitatives communautaires. Mais c’est peut-être là que l’on comprend combien un tel ouvrage réalisé par le représentant d’une compagnie aux intérêts précis se doit aussi d’être perçu avec distance et esprit critique.
La deuxième partie de ce livre, intitulée « Les faux amis de l’eau », révèle en effet plus clairement certaines limites. A. Frérot a certes raison de rappeler l’impact du changement climatique sur l’état actuel et annoncé de l’eau douce à l’échelle internationale. De même, il pointe un débat fondamental quand il s’interroge sur le coût de l’eau, sa facturation, et l’absurdité qu’il y aurait à aspirer à la gratuité de son accès et des services y afférents. Cela dit, son angélisme vis-à-vis du secteur privé et de ses aspirations, son recours à des statistiques communautaires afin de démontrer que l’eau ne serait finalement pas assez chère en France, ainsi que sa tendance à vouloir expliquer certains échecs du secteur privé autrement que par les comportements mercantiles jouent tous contre la distanciation à laquelle il prétend. Il en va de même pour ce qui relève de son développement relatif aux partenariats publics-privés, pour la défense desquels il prend à témoin tant la Banque mondiale qu’un extrait du Rapport mondial sur le développement humain pour 2006 du PNUD, mais sans pour autant souligner les abus ayant pu découler de tels schémas.
Quant à la troisième partie de l’ouvrage, intitulée « Vers de nouveaux modèles », elle a au moins un avantage : celui de faire le point sur les différentes technologies et les divers modèles gestionnaires envisagés dans le futur. Ces pistes, bien évidemment, sont une fois encore accommodées en fonction des orientations et des souhaits qu’A. Frérot garde, au nom de ses fonctions, et très probablement de ses convictions intimes, présents à l’esprit. Son insistance sur les questions de gouvernance, bien qu’importantes et justifiées, paraît dans les exemples qu’il présente surdimensionnée. L’accent mis sur le statut et les conditions d’accès à une eau douce et/ou potable des plus pauvres est bienvenu, même si on souhaite ne pas y déceler une simple caution en faveur des arguments de l’auteur. Dans le même temps, ces pistes ont le mérite de poser les termes d’un débat fondamental et d’actualité. Ainsi, les personnes intéressées par les enjeux de l’eau douce seraient bien avisées de lire cet ouvrage si elles tiennent à prendre connaissance d’une vision parfois contestable, mais en tous cas sérieuse et très bien rodée, de la question.
Pour le reste, les constats relatifs à l’état de l’eau douce à l’international sont fort bien illustrés à travers l’Atlas mondial de l’eau de David Blanchon. Plus qu’un complément, ce petit ouvrage très bien fait est un préalable à toute lecture sur les enjeux de l’eau douce. Cartes et schémas, accompagnés de textes synthétiques, font en effet le tour d’enjeux aussi fondamentaux que les difficultés liées aux mauvaises répartitions et à la qualité de l’eau douce dans le monde, les contraintes financières comme sociales y afférentes, ainsi que les risques conflictuels en découlant et les scénarii futurs qu’il convient d’anticiper. Le tout accompagné de ressources et références bibliographiques dont, malheureusement, et étonnamment, le manque, même s’il n’altère pas la démonstration, reste pourtant à déplorer dans l’ouvrage d’A. Frérot.