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Atlas des minorités musulmanes en Asie méridionale et orientale
Michel Gilquin (sous la dir.) Paris, CNRS Éditions, 2010, 347 p.
Cet ouvrage collectif très complet, dirigé par Michel Gilquin, s’attache à présenter les recompositions de l’islam contemporain au sein des minorités musulmanes en Asie méridionale et orientale, ou plus précisément au sein des minorités musulmanes dans les pays non musulmans (sont ainsi exclus les chiites pakistanais). En se diffusant, dans cette région qui va de l’Inde à la Chine en passant par l’Asie du Sud-Est (Birmanie, Thaïlande, Singapour, Philippines), l’islam s’est historiquement greffé sur les traditions locales, de sorte qu’il présente aujourd’hui une diversité très importante suivant les pays, voire à l’intérieur d’un même État, hétérogénéité que met en évidence ce livre au fil des différentes contributions. Cette situation est accentuée aujourd’hui par les évolutions que connaissent les « islamités » au contact de l’islam mondialisé. Or ces interrogations-réaffirmations identitaires, et l’expression même d’« islam mondialisé » suscitent souvent l’inquiétude des États, en particulier depuis 2001, par l’évocation du terrorisme et d’une radicalisation religieuse – mais cette inquiétude affichée peut n’être parfois qu’un prétexte à un contrôle renforcé, voire à une répression plus sévère, sur ces minorités.
De fait, le rapport à l’État des sociétés musulmanes constitue l’autre question abordée par les auteurs, qui décrivent ou bien une « reterritorialisation » des communautés musulmanes, c’est-à-dire « une reconnaissance d’un territoire spécifique où sont reconnus des droits particuliers » (p. 265) – en définitive, un repli sur soi entraînant un repli sur une interprétation plus rigoriste de l’identité religieuse – ou bien des sociétés dans lesquelles l’élément religieux de leur identité n’entre pas en conflit avec celui de l’appartenance nationale mais en reconnaît la primauté.
Cet ouvrage aborde donc un vaste sujet, dont il retient surtout la dimension sociale, et qui se décline en des réalités très différentes d’un pays à un autre ; la division des chapitres en trois grandes zones géographiques (le monde indien, l’Asie du Sud-Est, la Chine) entrent et au sein desquelles règne une importante diversité, reflète le choix, assumé, de kaléidoscope. Cette approche fait de chaque chapitre une véritable référence pour qui s’intéresse aux recompositions des sociétés musulmanes dans un pays donné, par les présentations détaillées tant des évolutions des modalités d’appréhension des rites coraniques que du degré et des biais d’intégration dans la nation. Ce livre a le mérite de rassembler des présentations très informées d’un sujet toujours complexe, et donne à voir une succession de tableaux, mais non un panorama d’ensemble.
De fait, ces contributions très fouillées ne s’articulent guère autour d’une problématique commune : chaque chapitre se suffit à lui-même, sans que leur regroupement n’enrichisse véritablement les différentes analyses (hormis dans le cas des musulmans indiens, auxquels trois chapitres complémentaires sont consacrés ; la Chine fait certes l’objet de deux chapitres, mais ceux-ci traitent de deux communautés distinctes). L’absence de fil directeur clair rend difficile la lecture continue de l’ouvrage hétéroclite, qui s’englue dans les détails fournis par des textes très denses, aérés par un support cartographique insuffisant, en particulier pour un « atlas » (27 cartes sur 340 pages pour 9 pays).
Au final, ce livre contient un grand nombre de contributions précieuses qui permettent de comprendre de multiples sociétés musulmanes dans leur contexte national, mais l’effort vers l’exhaustivité semble se faire au prix de la cohérence et d’une bonne articulation entre les chapitres. Si l’on ne peut que regretter une unité peu affirmée (une conclusion à tout le moins eût été la bienvenue, en réponse à l’introduction d’excellente facture), peut-être était-ce le prix à payer pour bien appréhender un thème complexe sans en gommer la nature intrinsèquement hétéroclite ni imposer un traitement uniforme déformateur d’un espace géographique si vaste recouvrant une telle myriade de situations historiques et de tendances actuelles.