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Atlas de l’agriculture
Jean-Paul Charvet Paris, Autrement, Collection Atlas/Monde, 2010, 79 p.
Ambitieux, l’Atlas de l’agriculture cherche, comme l’indique son sous-titre, à répondre à la question suivante : comment pourra-t-on nourrir le monde en 2050 ? La sécurité alimentaire pourrait, en effet, devenir plus « sélective, incertaine et fragile » (p. 4) alors qu’un milliard de personnes sont déjà en situation de sous-alimentation chronique.
Or, la production agricole est « affectée par toutes les crises du monde contemporain » (p. 4). Elle est directement concernée par le renchérissement de l’irrigation. La raréfaction des ressources en eau pose le problème de la pérennité de l’agriculture irriguée. Elle ne peut plus ignorer la thématique environnementale, tant certaines façons culturales productivistes ont lourdement obéré le capital écologique de certains territoires. Le secteur alimentaire n’est également pas épargné par les problématiques financières : spéculation sur le foncier, irrégularité des cours, fragilisation pécuniaire des paysans… Le défi actuel réside alors dans « l’actuelle nécessité d’accroître les volumes des approvisionnements alimentaires et, d’autre part, [dans] le passage tout aussi incontournable vers des formes d’agriculture plus durables et meilleures gestionnaires de l’environnement » (p. 5).
Les facteurs de pression sur les agrosystèmes sont pourtant légion. L’urbanisation est certes un élément de dynamisation du marché agricole mais également un vecteur de mitage des terres. La démographie humaine, quoique très inégale selon les régions du monde, engendrera trois milliards de bouches supplémentaires à nourrir à l’horizon de 2050 – ce qui suppose une hausse de 1 milliard de tonnes de la production céréalière mondiale pour prétendre maintenir les niveaux actuels de consommation. Or, les espaces cultivés ne couvrent que 10 % des terres émergées de la planète. Les terroirs sont donc devenus un objet de convoitise. L’auteur évoque une « main basse sur une ressource stratégique » (p. 28) dans le cadre des pratiques de land grabbing qu’adoptent certains États en manque de terres agricoles ou certaines entreprises pour qui le foncier agraire est devenu un élément spéculatif rentable.
Toutefois, les sociétés humaines n’ont pas les mêmes besoins en nourriture dans le cadre de stades alimentaires très dissemblables, depuis le stade agricole dans lequel les productions vivrières prévalent jusqu’au stade agro-tertiaire où l’agriculture est pilotée par de puissantes firmes souvent à la tête du marché agricole mondial. Celui-ci porte sur environ 1 300 milliards de dollars mais ne concerne finalement que 12 % de la production agricole planétaire (le reste étant autoconsommé à l’intérieur des États). Globalement libéralisé, ce marché est cependant modifié par la présence prégnante du fait politique. À propos de la politique agricole commune (PAC), Jean-Paul Charvet souligne ses réformes, son caractère inégalitaire et surtout sa division en deux piliers (l’un agricole et l’autre rural) aux objectifs contradictoires. En revanche, les farmers américains peuvent compter sur un arsenal d’aides directes ou indirectes. Résultat, « pour ce pays, l’agriculture constitue non seulement un secteur économique, avec sa puissante organisation en filières de production-commercialisation, mais aussi un secteur stratégique qui accompagne ses actions diplomatiques, voire militaires » (p. 62). Nonobstant, la force états-unienne n’est pas omnipotente. Le Brésil est représentatif d’un ordre agricole qui évolue : économiquement agressive, la nouvelle « ferme du monde » n’hésite pas à dénoncer la concurrence déloyale que lui font les États-Unis alors qu’elle déploie, en Amazonie, une agriculture capitaliste le long « du premier front pionnier agricole de la planète » (p. 64). Le Brésil démontre d’ailleurs la profonde diversité paysanne des Suds. L’Afrique reste, malgré des progrès ponctuels, une aire dotée d’un potentiel productif à mobiliser encore davantage . En Asie, la révolution verte a fait ses preuves mais doit, outre la question environnementale – principe de la « révolution doublement verte » (p. 30) –, s’adapter à une demande alimentaire plus exigeante en protéines animales.
In fine, l’ouvrage de Jean-Paul Charvet invite le monde politique à une meilleure prise en compte des logiques agricoles. Voici donc un outil précieux pour saisir les dynamiques des grands agrosystèmes mondiaux. Et s’il est un aspect qu’un compte-rendu est incapable de révéler, c’est la précision et la pertinence des cartes étayant le propos développé.