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Asie – Forces et incertitudes de la locomotive du monde
Sophie Boisseau du Rocher (sous la dir.) Paris, La Documentation française, Collection Mondes émergents, 152 p.
Quel est le point commun entre la Corée du Sud, l’Inde et l’Indonésie ?
Ces trois pays sont désormais membres du G20, l’institution réunissant les vingt principales forces étatiques de la planète. L’élargissement du G8 vers le G20 (qui comprend également la Chine et le Japon) vient signer la grande évolution géopolitique du début du xxie siècle, à savoir le déplacement de l’épicentre mondial de l’Occident vers l’Asie. La grande crise financière et économique de 2008 a d’autant plus permis à l’Asie de s’affirmer comme ce nouveau centre qu’elle aura affaissé le monde occidental dans une récession économico-politique durable.
Pour autant, l’affirmation de l’Asie dans le jeu capitaliste mondialisé ne doit pas cacher les lignes de fracture et les différentes fragilités économiques, sociales et politiques qui caractérisent le continent asiatique aujourd’hui. Le grand intérêt de ce recueil d’analyses focalisé sur six pays asiatiques (Japon, Chine, Myanmar, Sri Lanka, Cambodge, Pakistan) est de souligner cette hétérogénéité en présentant les différents agendas et les enjeux propres à chacun de ces pays.
Le Japon, qui souhaite sortir la tête de deux décennies de stagnation économique et politique, a donné au Parti démocrate japonais (PDJ) les clés de la réforme, après quarante ans de règne du Parti libéral démocrate. Les défis pour le PDJ sont à la hauteur des enjeux. Modernisation du système politique, alimentation de la croissance économique, redéfinition de l’alliance avec les États-Unis et gestion de l’expansion chinoise, l’année 2010 a de facto ouvert toutes les perspectives au nouveau gouvernement japonais.
La Chine de son côté continue de jongler entre politique externe de puissance et politique interne de « pacification ». La politique étrangère chinoise peine à donner l’image de la « grande puissance responsable » qu’elle souhaite renvoyer. Elle articule une diplomatie à moindre coût qui tire le multilatéralisme vers le plus petit dénominateur commun, au détriment des priorités (gouvernance, climat, prolifération nucléaire, etc.). Du côté intérieur, une importante énergie est toujours dépensée pour sécuriser et normaliser les périphéries internes (Xinjiang et Tibet).
Le Cambodge, à l’instar de nombreux pays asiatiques, n’a pas encore attrapé le wagon de l’expansion économique. Le régime autoritaire de Hun Sen, les manipulations nationalistes et le contentieux frontalier avec le Vietnam freinent le développement d’un pays toujours marqué par le génocide des années 1970, comme l’atteste l’ouverture du premier procès de dignitaires Khmers en 2009.
Myanmar, prisonnier du régime des Généraux depuis vingt ans, a quant à lui vu son avenir suspendu à la question des élections de 2010. Pourtant, le ficelage du processus électoral et le musèlement de l’opposition par la junte laisse peu d’espoir de normalisation politique, même à moyen terme.
Le Sri Lanka présente aussi un agenda différent. La défaite des rebelles tamouls en 2009 clôt la guerre mais ne garantit pas la paix. La réconciliation nationale est rendue difficile par la politique communautariste du gouvernement de Colombo et par l’absence de procédure judiciaire concernant les graves exactions commises lors des derniers mois du conflit.
Enfin, le risque taliban attisé par le conflit afghan déstabilise de plus en plus le Pakistan. Le manque de volontarisme de l’armée pakistanaise, la faiblesse du gouvernement Zardari et la quasi-indépendance des zones tribales vis-à-vis des pouvoirs publics rendent la lutte contre les talibans des plus difficiles.
S’il est vrai que l’Asie devient la locomotive du monde, ce livre nous rappelle, à juste titre, que l’hétérogénéité des agendas nationaux et les fortes tensions interétatiques réfutent l’idée d’un continent sûr de sa force et des possibilités qui s’offrent – pourtant – à lui. Les rares et relatives tentatives de régionalisation politique le confirment.