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AQMI. L’industrie de l’enlèvement.
Serge Daniel Fayard, Paris, 2012, 304 p.
Serge Daniel n’a pas de chance. Son enquête sur Al Qaida au Maghreb islamique (AQMI) fut mise sous presse quelques jours à peine avant le coup d’État du 22 mars 2012 au Mali et la déclaration d’indépendance de l’Azawad. Cette région désertique du Nord-Mali, peuplée de Touaregs, est réputée pour être l’une des terres de prédilection de l’organisation terroriste, présente dans toute la bande sahélo-saharienne.
La réunion sur une même zone géographique, du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) d’inspiration laïque, du mouvement salafiste Ansar Dine qui prône l’instauration de la charia et d’AQMI, contribue à l’instabilité régionale même s’ils n’ont pas exactement les mêmes objectifs.
Leur action concertée fait peser le spectre de la création, au cœur de l’Afrique occidentale d’un État paria, d’un nouvel Afghanistan, d’un sanctuaire pour les terroristes.
AQMI est l’héritière du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC). Franchisée par Al Qaïda début 2007, l’organisation terroriste a transféré ses activités du nord de l’Algérie où elle a dû faire face à la répression des forces de sécurité gouvernementales, au sud du pays, dans les régions sahariennes frontalières de la Mauritanie, du Mali, du Niger et de la Libye.
Composée à l’origine uniquement d’Algériens, elle a réussi à s’africaniser en recrutant de jeunes Africains sans avenir auxquels elle offre un exutoire. En fournissant les services de proximité que des États faibles et corrompus ne parviennent plus à assurer, AQMI est parvenu à se faire accepter des populations locales.
AQMI a noué des liens avec les réseaux de contrebande qui sillonnent ces espaces désertiques en se livrant à toutes sortes d’activités criminelles : trafic d’armes, de migrants, de voitures, de faux médicaments, de drogue. Cependant, depuis que l’organisation terroriste a décidé de procéder à des prises d’otages, la frontière entre trafiquants et djihadistes a quasiment disparu. L’objectif est double : frapper l’Occident et les pays africains accusés de pactiser avec lui, mais aussi lever les fonds qui faisaient cruellement défaut à l’organisation. Le calcul a été doublement rentable : le Sahara est devenu infréquentable pour les touristes européens et les rançons obtenues contre la libération des otages sont devenues la principale ressource financière du groupe.
Les combattants d’AQMI sont organisés en katibat des unités très légères d’une centaine de membres, elles-mêmes subdivisées en sarayat. Les deux principales sont, à l’ouest celle de Mokhtar Belmokhtar – qui a organisé l’assassinat de quatre Français dans le sud de la Mauritanie en décembre 2007 – et à l’est celle de Abou Zeid qui s’illustra par l’enlèvement de sept employés d’AREVA à Arlit en septembre 2010. Ces groupes conduisent aujourd’hui des actions au sud du fleuve Niger comme l’ont montré l’enlèvement de deux Français à Niamey et l’attaque contre l’ambassade de France à Bamako en janvier 2010. Ils ont noué des liens avec Boko Haram, l’organisation nigériane responsable, le jour de Noël 2011, d’une série d’attentats ayant causé plus d’une centaine de morts. L’alliance entre les deux organisations islamistes – à laquelle Serge Daniel consacre un chapitre – pourrait prendre en tenaille l’Afrique de l’Ouest.
La lutte contre AQMI est une entreprise difficile. La réponse sécuritaire ne suffit pas. L’aide au développement est indispensable pour lutter contre la pauvreté qui constitue le principal fourrier du terrorisme. Les États occidentaux veulent agir mais savent que leur implication trop visible pourrait être contre-productive. Cependant les États de la zone peinent à coordonner leurs efforts : les velléités de leadership de l’Algérie se heurtent à l’hostilité de ses voisins du Sud, le volontarisme de la Mauritanie contraste avec l’ambiguïté du Mali d’ATT (Amadou Toumani Touré), ambiguïté qui a causé sa perte. Nourrie de renseignements de première main, l’enquête très documentée de Serge Daniel donne la mesure de la menace que les actions criminelles d’AQMI font peser sur l’Afrique de l’Ouest. Elle se lit comme une invitation à ne pas prendre à la légère les événements qui se déroulent actuellement au nord du Mali, à Tombouctou, à Gao, à Kidal.