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Anthropologie du médicament au Sud. La pharmaceuticalisation à ses marges
Par Alice Desclaux et Marc Egrot (dir.) - Paris, L'Harmattan, 2015, 282p.
Le médicament est un objet fascinant, dont la circulation s’est accélérée depuis plusieurs décennies et dont les usages se sont diversifiés au Nord comme au Sud, même dans les pays les plus pauvres. Les médicaments symbolisent des inégalités globales d’accès et de distribution. Ils sont également des biens courants que l’on achète – dans les pharmacies officielles mais aussi au marché noir –, que l’on échange, que l’on offre, et qui sont investis de représentations et d’espoirs liés à leur efficacité thérapeutique. La notion de « médicalisation » avait montré avec succès combien un nombre croissant d’aspects de la vie étaient pensés comme relevant de la médecine. La « pharmaceuticalisation » désigne, quant à elle, le phénomène d’augmentation de la circulation, de la diffusion, de la consommation de médicaments. Peu analysée en Afrique, elle implique des études empiriques qui doivent être réalisées aux marges pour pouvoir appréhender ses enjeux « hors des cadres juridiques ou politiques définissant la norme ou à leurs limites » (p. 34). Les auteurs réunis dans cet ouvrage abordent ainsi les médicaments à la marge du paiement, de l’approvisionnement formel, du thérapeutique et du médical. C’est l’enjeu et la réussite de ce livre que de rendre compte de cette diversité, à partir d’enquêtes de terrain approfondies, menées parfois depuis plus de dix ans.
Dans la première partie, « À la marge du paiement », les auteurs abordent les politiques de gratuité des médicaments, bannies des instances sanitaires internationales depuis l’Initiative de Bamako en 1987, mais remises au jour par certaines politiques récentes face au sida. Ces politiques de gratuité ont rencontré des obstacles dans leur mise en œuvre, en grande partie parce qu’elles sont coûteuses et doivent être financées. Une autre modalité concerne le don de médicament, les deux ne relevant pas des mêmes logiques, acteurs et usages. Comme le rappelle Marc Egrot, ce dernier est souvent suspicieux et se situe généralement « en marge des logiques de soin ».
La deuxième partie, « À la marge des dispositifs d’approvisionnement formels », aborde la question complexe de la circulation de médicaments informels et les amalgames qui en font systématiquement des traitements contrefaits ou frelatés. Carine Baxerres y déconstruit l’idée d’une invasion des marchés ouest-africains par les produits contrefaits et démontre que les cas avérés de faux médicaments sont plutôt rares, bien que le succès du circuit informel du médicament soit la conséquence directe d’un échec du circuit formel à offrir des soins et des produits accessibles et de qualité.
Enfin, les médicaments se situent « aux marges du thérapeutique » (troisième partie) et impliquent des effets secondaires et indésirables « aux marges du médical » (quatrième partie). Plusieurs études, en Afrique et en Asie, montrent que les médicaments débordent le cadre du préventif et du curatif pour relever parfois d’une recherche de bien-être, de plaisir voire de performance : le marché des stimulants sexuels au Burkina Faso, les « secrets de femmes » et les produits recherchés par les hommes (Blandine Bila), les usages de contraceptifs et d’abortifs aux Pays-Bas, aux Philippines et en Afrique du Sud (Anita Hardon), le succès de la pilule chinoise au Cambodge (Pascale Hancard-Petitet) et des plantes médicinales comme l’aloe vera (Alice Desclaux).
Finalement, le médicament est un prisme d’observation de l’ensemble du système de santé – dont l’effondrement explique l’ampleur des circuits informels en Afrique – et des politiques de santé globale, dont les interventions se concentrent sur l’accès aux médicaments. Le cas du sida illustre cette emprise du médicament, investi de toujours plus de pouvoir et capable, grâce à une stratégie de diffusion accélérée, de faire disparaître le virus. Si les antirétroviraux ont sauvé la vie de millions d’Africains, la poursuite de l’éradication du VIH au seul moyen du médicament, sans interventions structurelles s’attaquant aux inégalités économiques et sociales, est périlleuse.
Dans la première partie, « À la marge du paiement », les auteurs abordent les politiques de gratuité des médicaments, bannies des instances sanitaires internationales depuis l’Initiative de Bamako en 1987, mais remises au jour par certaines politiques récentes face au sida. Ces politiques de gratuité ont rencontré des obstacles dans leur mise en œuvre, en grande partie parce qu’elles sont coûteuses et doivent être financées. Une autre modalité concerne le don de médicament, les deux ne relevant pas des mêmes logiques, acteurs et usages. Comme le rappelle Marc Egrot, ce dernier est souvent suspicieux et se situe généralement « en marge des logiques de soin ».
La deuxième partie, « À la marge des dispositifs d’approvisionnement formels », aborde la question complexe de la circulation de médicaments informels et les amalgames qui en font systématiquement des traitements contrefaits ou frelatés. Carine Baxerres y déconstruit l’idée d’une invasion des marchés ouest-africains par les produits contrefaits et démontre que les cas avérés de faux médicaments sont plutôt rares, bien que le succès du circuit informel du médicament soit la conséquence directe d’un échec du circuit formel à offrir des soins et des produits accessibles et de qualité.
Enfin, les médicaments se situent « aux marges du thérapeutique » (troisième partie) et impliquent des effets secondaires et indésirables « aux marges du médical » (quatrième partie). Plusieurs études, en Afrique et en Asie, montrent que les médicaments débordent le cadre du préventif et du curatif pour relever parfois d’une recherche de bien-être, de plaisir voire de performance : le marché des stimulants sexuels au Burkina Faso, les « secrets de femmes » et les produits recherchés par les hommes (Blandine Bila), les usages de contraceptifs et d’abortifs aux Pays-Bas, aux Philippines et en Afrique du Sud (Anita Hardon), le succès de la pilule chinoise au Cambodge (Pascale Hancard-Petitet) et des plantes médicinales comme l’aloe vera (Alice Desclaux).
Finalement, le médicament est un prisme d’observation de l’ensemble du système de santé – dont l’effondrement explique l’ampleur des circuits informels en Afrique – et des politiques de santé globale, dont les interventions se concentrent sur l’accès aux médicaments. Le cas du sida illustre cette emprise du médicament, investi de toujours plus de pouvoir et capable, grâce à une stratégie de diffusion accélérée, de faire disparaître le virus. Si les antirétroviraux ont sauvé la vie de millions d’Africains, la poursuite de l’éradication du VIH au seul moyen du médicament, sans interventions structurelles s’attaquant aux inégalités économiques et sociales, est périlleuse.