Anatomie d’un désastre. L’Occident, l’Islam et la guerre au XXIe siècle
Enyo Paris, Denoël, 2009, 424 p.
Écrire sur un sujet rebattu est un exercice dangereux et s’y livrer, masqué, ajoute au risque d’échec. Mais, il faut reconnaître que la culture et probablement l’expérience d’Enyo lui permettent de relever le défi avec brio.
Ses trois premiers chapitres dressent le cadre général de l’histoire de la guerre, du terrorisme et de la mondialisation sous un angle novateur. Les trois suivants en font autant avec l’évolution géopolitique de l’umma, puis la politique et le droit de la guerre islamiques. L’auteur fait ainsi apparaître, sans porter de jugement de valeur, pourquoi la crise interne et le besoin d’affrontement avec l’Occident sont consubstantiels à la civilisation islamique. Le « réveil de l’Islam » auquel nous assistons depuis 70 ans et le « choc des civilisations » que nous pensons avoir découvert le 11-Septembre ne sont que les manifestations de cette réalité.
Aujourd’hui, ces manifestations sont conditionnées par les évolutions respectives de l’État et des sociétés civiles. En effet, jusqu’à la fin du xxe siècle, l’existence d’États occidentaux forts avait gelé l’antagonisme Islam-Occident. La rétraction de l’État le réactive à trois niveaux d’existence tenus en Occident pour apolitiques : « les individus, les tribus locales et les communautés mondiales ». Tandis que dans les pays de culture islamique la collectivité a encore un destin quasi métaphysique, les États-Unis se sont arc-boutés sur la défense d’une cité moderne fondée sur un équilibre entre droits et devoirs à l’intérieur, mais pour qui tout est permis à l’extérieur. L’Europe a pour sa part choisi une politique postmoderne où les devoirs civiques cèdent devant les droits et les appétits individuels.
Ce qui pourrait apparaître comme une charge anti-islamique est en réalité une étude sur l’incompréhension occidentale de ces phénomènes. Trois nouveaux chapitres expliquent comment et surtout pourquoi les Occidentaux s’égarent dans des réflexions sur la démocratie islamique ou sur les causes de la haine qui anime le nouveau djihad. Et l’auteur ne ménage pas ses mots pour dénoncer le manque de culture, de courage et de lucidité des décideurs américains de l’ère Bush, enferrés dans une logique de violence, et Européens, prisonniers de leurs repères sémantiques.
Un dernier chapitre dénonce le concept de « guerre contre le terrorisme » qui ne peut s’achever par notre victoire. Pour nous adapter à la réalité, l’auteur propose une posture doublement paradoxale : accepter rationnellement de renoncer à la rationalité comme l’instrument le mieux adapté à la lutte, et refonder le socle des valeurs issues de l’humanisme et des Lumières pour pouvoir agir en rupture avec elles. En d’autres termes, faire de l’universel le cœur de nos principes et mettre la raison d’État – instrument ultime de la laïcité même si l’auteur n’utilise pas ce terme très français – au cœur de notre stratégie. Quant à l’objectif commun que doivent se donner l’Europe et l’Amérique, il est clair : défendre nos libertés.
Anatomie d’un désastre est sans doute un des premiers ouvrages à aborder ces sujets avec un véritable recul historique, philosophique et religieux – probablement plus profond que celui de Huntington dans le Choc des civilisations. Le principal danger du livre est à la fois son principal mérite : il identifie nos démons et nous invite à les apprivoiser et les utiliser au lieu de les refouler ; il fait l’apologie des Lumières pour organiser la société, mais des hommes de l’ombre pour la défendre. Il a, enfin, les défauts de ses qualités : la maîtrise du sujet par l’auteur écrase le lecteur sous ses connaissances en même temps que ses idées révolutionnaires le provoquent page après page, ce qui ne rend pas toujours la lecture aisée.