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Amérique latine, les élections contre la démocratie ?
Olivier Dabène (sous la dir.) Presses de Sciences Po, Paris, 381 p.
Une douzaine d’élections présidentielles ont été tenues entre novembre 2005 et décembre 2006 en Amérique latine. Après le « virage à gauche » amorcé au début du siècle dans plusieurs États du continent, les experts devaient profiter de cette vague électorale pour vérifier la confirmation de cette tendance et, au-delà, de l’enracinement de la démocratie dans la région. Fruit des contributions du colloque « l’Amérique latine aux urnes » (CERI-IHEAL-Maison de l’Amérique latine, décembre 2006), cet ouvrage collectif dessine un bilan contrasté.
Les Latino-américains sont allés voter, sans violences notables, et c’est déjà un fait à souligner, car dans le contexte de scepticisme croissant, la démocratie demeure parfois fragile. Les auteurs s’accordent pour pointer la crise de confiance de la population envers la classe politique, et notamment envers les partis. Aller voter, oui, mais pour un individu, un leader charismatique, un candidat de l’antisystème (Rafael Correa en Equateur, Evo Morales en Bolivie) ou de la manière forte (Ollanta Humala au Pérou, Alvaro Uribe en Colombie). Ce besoin d’alternance, après des années de politique néolibérale, explique le virage à gauche (Bachelet au Chili, Lula au Brésil, Kirchner en Argentine, Ortega au Nicaragua) ; doublé d’un phénomène de « personnalisation », il pourrait confirmer le risque populiste.
Là est bien le drame de l’Amérique latine : pour combattre la pauvreté et le marasme économique, les institutions financières internationales ont soutenu des régimes politiques prompts à mener les politiques économiques orthodoxes. Indéniablement, la croissance est de retour, l’inflation est maîtrisée, le taux de pauvreté baisse légèrement. Mais les inégalités sociales demeurent terribles, discréditant la classe politique prodigue en promesses, et incitant les classes pauvres à écouter un autre discours, ou à soutenir l’émergence d’une nouvelle génération d’hommes politiques construisant leur réputation d’abord à l’échelle locale. Cette polarisation politique entre tenants et adversaires du néolibéralisme trouve son corollaire dans l’intérêt croissant pour les questions internationales : ouverture aux investissements étrangers ou renforcement de la souveraineté nationale ? Coopération avec les États-Unis (promotion de la zone de libre-échange) ou mise en place prioritaire des institutions proprement latino-américaines (Mercosur, Banque du Sud) ? Impliqué dans toutes ces questions, le « facteur Chavez » devient, dans certains cas, un élément majeur de la campagne.
Cette dégradation de la cohésion sociale prend parfois un tour dramatique et explique l’aspect conflictuel de la politique dans des pays comme la Bolivie ou le Pérou (Cf. la contribution très intéressante de Carmen Rosa Balbi Scarneo, « le phénomène Humala »). Ces deux pays illustrent bien les freins à l’instauration d’une véritable démocratie dans de nombreux pays d’Amérique latine : clivages socio-économiques et raciaux se recoupant, toute une partie de la population ne bénéficie que d’une citoyenneté de seconde zone. Ainsi, alors que l’instauration de la démocratie est présentée souvent comme la panacée dans les questions de développement, l’intérêt du livre est de rappeler qu’un système électoral démocratique n’apporte pas la solution définitive, surtout lorsqu’il n’assure pas la représentativité de la population exclue : « Dans les sociétés où s’intensifie la violence délinquante, où la population cherche à migrer et où la politique de la rue peut à tout moment faire chuter un président, ce sont alors les élections qui ne jouent pas suffisamment leur rôle de canal d’expression institutionnalisé », rappelle en introduction Olivier Dabène.
Les constats ainsi dégagés sont confirmés dans deux cas d’études publiés l’année dernière : Roderic Ai Camp, Politics in Mexico – The Democratic Consolidation (New York, Oxford University Press, 2e éd., 2007), et Steve Ellner, Miguel Tinker Salas, Venezuela, Hugo Chavez and the Decline of an « exceptional Democracy », (New York, Rowman & Littlefield Publishers, 2007). Le second, notamment, montre que les graves clivages sociaux caractérisant le Venezuela, que l’on décrivait trop souvent comme une démocratie sans histoire, ont entraîné la situation quasi révolutionnaire de l’ère Chavez.