See English version below « Ça s’est passé comme ça ». Ceci...
Agir à tout prix ? Négociations humanitaires : l’expérience de Médecins Sans Frontières
Claire Magone, Michael Neuman, Fabrice Weissman (dir.) Paris, La Découverte, 2011, 343 p.
Cet ouvrage est remarquable pour deux raisons. D’abord il consiste en un retour sur expériences de la plus grande ONG humanitaire française. Pour une organisation connue pour sa réactivité et l'urgence de son cadre d'action, on comprend l’enjeu de cette démarche réflexive, destinée à analyser les actions menées, et en comprendre les écueils, les limites voire les échecs. Ses auteurs portent en outre à notre connaissance les débats internes à l’organisation et leur place dans les débats internationaux sur l’intervention humanitaire : quand commence l’urgence ? Comment intervenir de façon efficace sans cautionner une dictature ou un affrontement armé ? Comment offrir des soins aux populations sans remplacer durablement les États ? Des questions essentielles pour les organisations humanitaires, dont les réponses tiennent au contexte social et politique des pays « hôtes » et aux relations avec les autres acteurs présents sur le terrain (MSF et ses différentes sections, autres ONG transnationales, acteurs intergouvernementaux – notamment les agences onusiennes –, militaires).
Dans sa première partie – histoires courtes – l’ouvrage se compose de douze études de cas. L’exemple du Sri Lanka illustre jusqu’où MSF a consenti à se faire dicter les conditions d’intervention : dans ce pays en proie à une guerre civile, l’organisation a accepté de cantonner son action aux camps d’enfermement organisés par le pouvoir en place. En Birmanie, le silence de l’ONG sur la junte militaire lui a permis de traiter plus d’un million de malades du sida et du paludisme. L’intérêt du livre est aussi de contribuer à la réflexion sur la façon dont MSF accompagne les politiques de santé publique élaborées au niveau international, ce qui pose la question des négociations avec les autorités sanitaires et politiques, fondamentales dans ces contextes ouverts – ceux qui ne sont pas marqués par la guerre –, comme le montre le cas du Nigeria. Les autorités sanitaires du Nord Nigeria, niant l’importance des épidémies renaissantes, ont empêché la mise en œuvre de programmes de vaccination et de soins efficaces et conduit MSF à un retrait progressif. Le cas du programme d’accès aux antirétroviraux dans un bidonville de la province du Cap met aussi en évidence l’importance du contexte politique et des failles dans lesquelles les acteurs humanitaires peuvent se glisser. MSF a choisi d’intervenir dans une province qui était dans l'opposition au parti du Président Mbeki, dont le gouvernement freinait la mise en place d’un programme d’accès aux médicaments, s'est alliée à la puissante association de lutte contre le sida Treatment Action Campaign dans une lutte transnationale en faveur de l’accès aux médicaments pour les pays du Sud et a travaillé en étroite collaboration avec cette association dans les programmes de soins mis en place. L’ONG est ainsi amenée à s’engager sur d’autres fronts : la lutte contre la propriété intellectuelle et pour l’accès aux génériques, la protection juridique pour les migrants (à Cape Town auprès des réfugiés zimbabwéens victimes de violence xénophobe).
Dans la seconde partie – histoire longue – deux chapitres transversaux permettent, l’un, de situer l’action de l’organisation dans le cadre de l’évolution des politiques internationales de santé, l’autre, de présenter l’historique de ses prises de positions publiques. L’ouvrage se termine par un entretien avec Rony Brauman, ancien président de MSF-France, portant sur les interventions dans un contexte de catastrophes naturelles, et un épilogue proposant une analyse sociologique des modes de justification de ses actions par l’organisation.
L’ensemble des auteurs – médecins, directeurs de section ou directeurs d’étude au centre de réflexion sur l'action et les savoirs humanitaires (CRASH) – a appartenu ou appartient à MSF, à l’exception de Claudine Vidal, chercheur à l'EHESS. L’ouvrage aurait pu bénéficier d’une mixité plus grande, donnant d’avantage écho aux nombreuses recherches menées actuellement sur les interventions humanitaires, et éclairant plus encore cet exercice réflexif. Celui-ci n’en demeure pas moins très stimulant.