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À l’ombre du mur Israéliens et Palestiniens entre séparation et occupation
Stéphanie Latte Abdallah, Cédric Parizot (dir.) Paris, Actes Sud, 2011, 334 p.
Le conflit palestino-israélien est sans doute l’enjeu qui suscite le plus d’émotions dans la communauté internationale, comme en témoignent les réactions à la récente démarche de Mahmoud Abbas devant l’Assemblé générale des Nations unies pour la reconnaissance d’un État palestinien. Pourtant, les chercheurs en sciences sociales ont souvent tendance à négliger un aspect crucial de cette longue confrontation : la vie quotidienne en Israël et dans les territoires palestiniens occupés. Le recueil d’articles que constitue cet ouvrage, établi sous la direction de Stéphanie Latte Abdallah et Cédric Parizot, chercheurs à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (IREMAM-CNRS) à Aix-en-Provence, a pour objectif de combler cette lacune, et nous offre avec ses études de cas une approche très diversifiée autour du sujet de l’espace et des frontières, depuis les accords d’Oslo en 1993.
Le mur de séparation (bien que surmédiatisé et jusqu’ici largement inachevé), initié en 2002 dans le contexte d’une nouvelle politique sécuritaire, matérialise la séparation entre Israéliens et Palestiniens et donne l’illusion d’une véritable frontière entre deux pays. Pourtant, cette barrière cache la complexité des rapports sociaux, économiques et politiques entre les deux peuples. Plutôt que de contribuer à l’autonomie des deux côtés, elle constitue une reconfiguration de l’occupation, et mène à une fragmentation et isolation encore accrues des territoires palestiniens.
La première partie de l’ouvrage se concentre sur l’aspect géographique de l’occupation en analysant l’infrastructure privatisée des checkpoints et la reconfiguration du système carcéral. L’externalisation de la responsabilité de la circulation frontalière comme le transfert des prisonniers palestiniens en Israël s’inscrivent, selon les auteurs, dans une tendance au néolibéralisme et permettent à l’État d’Israël, d’une part, de contrôler plus encore la mobilité des Palestiniens, et, d’autre part, de renforcer le caractère non-militaire et dépolitisé des postes frontaliers et des prisons.
Le regard des auteurs se tourne ensuite vers l’économie. Ils constatent d’abord l’entrave à toute croissance économique, imposée aux Palestiniens par l’impossibilité d’établir une zone de libre-échange ou une union douanière (les deux auraient comme condition des frontières légales). Ils témoignent par ailleurs des nombreux moyens de contournement de l’économie légale par la contrebande, illustrant une coopération étroite entre Israéliens et Palestiniens à l’ombre des autorités administratives.
Les travaux menés sur l’identité constatent, d’une part, une nouvelle solidarité entre les Palestiniens vivant en Israël et ceux résidant dans les territoires palestiniens occupés, et, d’autre part, la construction nationale de l’ennemi du côté des Israéliens, illustrée par les volontaires de la garde civile, chargés de la poursuite des travailleurs palestiniens illégaux et fréquemment stigmatisés comme amateurs au sein de l’appareil sécuritaire israélien.
Une dernière partie est consacrée aux voyages organisés, qui, sous leurs différents angles, conduisent le visiteur à se construire une autre vision de l’occupation, influencée par celle du guide partageant son idée du conflit.
L’ouvrage est le résultat du programme de recherche « Le conflit israélo-palestinien sous l’angle des mobilités transfrontalières », rassemblant des chercheurs israéliens, palestiniens et internationaux. Cette perspective globale est une des forces de ce livre, puisqu’elle permet un regard varié et profond sur un enjeu vis-à-vis duquel l’aspiration à une vérité unique restera toujours vaine. Il dessine également un très bon tableau de la complexité des facteurs psychologiques, politiques, sociaux et économiques qui influencent les rapports hétérogènes entre Israéliens et Palestiniens dans leur quotidien, dans un état d’urgence permanent.