ANALYSES

Et la véritable arme secrète de la Corée du Nord est… sa croissance économique

Presse
18 septembre 2017
Les sanctions votées successivement contre la Corée du Nord semblent encore sans effet sur les actions de Pyongyang, comme l’a rappelé le dernier tir de missile de ce 15 septembre. Si ces sanctions ont pour objectif d’affaiblir le régime, n’y a t il pas une sous estimation générale des progrès économiques du pays, qui lui permettent une plus grande résistance à ce type d’actions ?

Depuis le premier essai nucléaire nord-coréen en octobre 2006, Le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté huit résolutions contenant des sanctions, la dernière en date ce mois-ci. Si ces textes furent adoptés à l’unanimité, ce qui est une bonne chose, il convient de s’interroger sur leur efficacité. D’autant que ces sanctions s’ajoutent à une multitude d’initiatives unilatérales qui limitent les échanges économiques avec la Corée du Nord depuis 1993, et une situation qui, pendant la Guerre froide, ne faisait déjà pas de ce pays très dépendant de l’Union soviétique un champion du libre-échange.

Bref, la Corée du Nord à toujours été isolée économiquement, et les sanctions n’en sont qu’une des caractéristiques. Non efficaces, ces sanctions semblent également conte-productives, car elles sont instrumentalisées par la propagande du régime, et n’ont pas empêché l’économie nord-coréenne d’amorcer une croissance qui avoisine les 4% (ce qui reste très modeste eu égard aux immenses lacunes de ce pays) depuis quelques années.

C’est la face cachée de la Corée du Nord, un des paradoxes de ce pays et de son dirigeant. Kim Jong-un est engagé dans une stratégie à deux visages avec d’un côté un durcissement des positions dans le domaines militaire et diplomatique, et de l’autre une libéralisation progressive, mais néanmoins spectaculaire, de l’économie. On estime que plus de la moitié du PIB nord-coréen est aujourd’hui assuré par le secteur privé. Une réalité qui est aux antipodes des idées reçues sur ce pays. Le système de collectivisation, qui a fait justement qualifier ce régime de stalinien, est en cours de réforme, et les recettes fiscales issues de la montée en puissance du secteur privé sont une source de revenus de plus en plus importante pour Pyongyang. Si on compare la situation actuelle avec le milieu des années 1990, quand la Corée du Nord était confrontée à des famines chroniques, force est de constater que les progrès sont très importants, même si la situation dans les zones rurales reste catastrophique, comme en témoignent les réfugiés. On peut déplorer que l’amélioration de cette situation économique serve le régime, mais il serait moralement difficilement défendable de s’en plaindre, si on pense au sort de la population. Bénéficiant de très importantes ressources minières, la Corée du Nord les exporte vers la Chine, qui est tout particulièrement friande des métaux rares dont dispose ce pays. Ces exportations permettent à l’économie locale d’acheter du materiel pour ses infrastructures, des outils pour l’agriculture, de l’acier… On oublie souvent que si la DMZ ferme hermétiquement la frontière avec la Corée du Sud (à l’exception du site industriel de Kaesong, épisodiquement fermé et soumis aux aléas de la relation entre les deux pays), la frontière avec la Chine reste très perméable, et est une bouffée d’oxygène pour l’économie nord-coréenne. Faut-il le condamner? La question fait débat.

Quels sont les progrès économiques réalisés par le pays au cours de ces dernières années, notamment depuis 2011 ? Ne faut il pas voir dans ce progrès économique une source, à terme, de faiblesse pour le régime ? L’économie pourrait-elle être le levier d’une ouverture du pays ?

Je ne suis pas certain que les progrès économiques soient, à moyen terme, un problème pour le régime, surtout si c’est ce dernier qui est identifié comme étant à sa source. C’est même plutôt l’inverse. C’est l’exemple de la Chine et de son équilibre entre libéralisation de l’économie et maintien du régime politique que cherche à suivre Pyongyang. Que le pays s’ouvre progressivement grâce à son économie, ce serait une bonne chose, mais si les puissances occidentales voient un lien de cause à effet entre cette ouverture et l’effondrement du régime, elle pourraient au mieux être déçues, au pire braquer le pouvoir nord-coréen.

Ajoutez à cela que ces progrès économiques s’opèrent, comme notė précédemment, à un moment où les sanctions sont particulièrement fortes, en tout cas plus qu’elles ne l’ont jamais été. En d’autres termes, les nord-coréens y voient plus le signe du succès de leur stratégie d’autonomie, ce qui a pour effet de renforcer la propagande. L’assouplissement du régime pourrait, bien sûr, être l’une des conséquences de ce décollage, encore timide, à terme, à condition de savoir l’accompagner, et de faire preuve de patience.

Quelles seraient les actions à mettre en oeuvre, dans le cadre d’un tel scénario?

Ne pas confondre vitesse et précipitation d’une part, et voir de manière systématique dans les évolutions économiques les prémisses de changements politiques radicaux. La théorie du regime change a fait son temps, et les sanctions comme levier politique ont montré leurs limites. Sortir des certitudes que nous a véhiculées la chute de l’Union soviétique semble donc la deuxième condition. Parce qu’enfin, croire encore en 2017 aux théories des libéraux sur le développement économique comme déclencheur automatique du libéralisme politique est faire preuve d’une grande naïveté, ou d’un refus obstiné de tenir compte de l’exemple chinois.

Reconnaître l’échec des sanctions, et repenser de manière plus juste les condamnations contre Pyongyang. Cibler les dirigeants est légitime – même si sans doute peu efficace – mais frapper la population, qui en fait les frais, ne sert aucun objectif politique et nous rend coupable de la détresse d’un peuple. Il est aberrant qu’en 2017, des dirigeants de grandes puissances responsables ne s’expriment pas pour proposer un re-examen de ces sanctions, ce qui encore une fois ne signifie pas faire preuve de faiblesse face à Pyongyang et ses gesticulations, mais au contraire renforcerait notre détermination à faire évoluer ce dossier épineux, là où les sanctions ne font qu’entretenir l’absence de dialogue. Enfin, il est indispensable de replacer la Corée du Sud au centre du dialogue avec Pyongyang, et d’aider Séoul à avancer vers une coexistence pacifique et un accompagnement du développement économique de son voisin, que ce pays appelle de ses vœux. Il est impensable de court-circuiter, comme cela est le cas depuis quelques mois, la Corée du Sud, membre du G20, sur un sujet d’une telle importance pour elle.
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