20.12.2024
Elections en Allemagne : quel bilan économique pour Angela Merkel ?
Tribune
14 septembre 2017
La chancelière, en effet, a dû faire face au réveil de la Russie qui compliqua les relations entre ce pays et les Européens – les sanctions en sont une illustration -, à la crise économique de 2008 qui déboucha sur l’une des plus graves crises de l’Union européenne menaçant la survie même de l’euro, et à la montée des populismes partout dans le monde et surtout en Europe alors que les Britanniques décidaient eux de quitter cette Union européenne.
Angela Merkel fut par ailleurs très critiquée dans son pays en 2010 au moment de la crise grecque. Comment pouvait-elle accorder autant de temps et d’argent à des pays « Club Med » alors que les Allemands se débattaient face aux difficultés de la crise et un pouvoir d’achat en berne ? La polémique enfla également au moment de la nomination de Mario Draghi à la tête de la Banque centrale européenne puisqu’elle soutint Monsieur Draghi alors que c’est un Allemand qui devait avoir le poste, jugé plus orthodoxe et rigoureux, qui devait succéder à Monsieur Trichet. La politique non conventionnelle de la BCE fit même l’objet d’un recours auprès de la Cour constitutionnelle allemande… Même l’accueil massif de réfugiés qu’elle autorisa à la surprise quasi générale constitua un gros risque pris par Madame Merkel sur le plan politique. Pourtant, cette question est, de manière surprenante, un non-sujet dans cette campagne…
Comment dans un tel contexte, la chancelière a-t-elle pu échapper à l’impopularité ? Nombre de ses homologues à l’étranger ont eu à subir, parfois lourdement, les conséquences d’un tel contexte politique, géopolitique économique et social ? Beaucoup ont argumenté sur sa personnalité, sur l’absence d’opposition crédible ou autre mais il est incontestable que son bilan économique est aussi un élément important. L’Allemagne faisait face, au début des années 2000, à une croissance atone, une stagnation des salaires et un fort chômage (11% lorsque Madame Merkel arrive au pouvoir !). Elle affichait un déficit public inquiétant ne respectant pas le fameux pacte de stabilité, qui fut pourtant une condition sine qua non imposée par ce pays pour accepter la mise en place de la monnaie unique… Sa dette s’amplifiait à mesure que ces déficits s’accumulaient et la conversion de cette économie sociale de marché vers un modèle capitaliste à l’anglo-saxonne passait d’autant plus mal en Allemagne que les performances d’autres pays européens et l’augmentation visible du pouvoir d’achat de leur population, Espagne ou Portugal en tête, semblaient suggérer que les choix politiques allemands étaient mauvais !
Voilà le contexte de l’arrivée de Madame Merkel au pouvoir. Au départ, elle poursuit peu ou prou la même politique que ses prédécesseurs, confortée en cela par la très bonne tenue des entreprises allemandes à l’international. Pourtant, la crise la rattrape vite à partir de 2009 lorsque la Deutsche Bank, l’une des 2 plus grandes banques du pays, fait face à d’importantes difficultés financières couplées à des scandales divers et variés sur la manière dont cette banque mène son business depuis plusieurs années. Elle est en effet directement mise en cause dans des affaires de corruption et de blanchiment, se révèle être directement mise en cause dans la crise grecque, etc. La même crise grecque qui la poussera à faire évoluer sa position au fur et à mesure que le ciel s’assombrissait en Europe. Et à partir de 2010/2011, elle sait engager un virage qui n’a rien de radical mais conduira à des choix politiques beaucoup plus pragmatiques et au cas par cas en fonction des urgences et des difficultés identifiées. Le redressement économique peut alors s’amorcer, il sera spectaculaire à tous point de vue.
C’est ainsi que 12 ans plus tard, la situation de l’économie allemande a radicalement changé par rapport à 2005, date de l’arrivée au pouvoir de Madame Merkel. En effet, fin 2016, tous les indicateurs économiques étaient au vert dans ce pays. L’Allemagne a réalisé sur l’année 2016 un excédent commercial record. Avec plus de 297 milliards de dollars, il dépasse celui de la Chine l’an passé (soit 294 milliards de dollars en 2016 selon le FMI et alors que les Etats-Unis perdaient plus de 478 milliards) ! Excédent qui représente 8,5% de son PIB (c’était 4,5% en 2005), là encore un record en la matière, la Commission européenne jugeant qu’au-delà de 6% il peut présenter un risque pour les autres pays de la zone euro ! Certains « pessimistes » expliquent que ce résultat est à double tranchant puisqu’outre la vigueur des exportations, donc la compétitivité des entreprises allemandes, il traduit aussi la faiblesse persistante de l’investissement, c’est un fait…
Malgré tout, un autre élément à mettre au bilan de Madame Merkel est la relance de la consommation. Ce fut longtemps l’une des grandes faiblesses de cette économie beaucoup trop dépendante de ses exportations. C’est cette faiblesse qui explique en grande partie l’effondrement de la croissance en 2009 (-5,5%), soit plus qu’aux Etats-Unis ou en France, cette même année. C’est aussi cette atonie structurelle de la consommation en Allemagne qui est l’une des causes des crises grecque, espagnole ou portugaise, crise de la dette en Europe puis de l’euro ! En effet, confrontées à une consommation faible, les entreprises allemandes devaient trouver des débouchés à l’étranger. Or, l’euro, en maintenant les taux d’intérêt très bas, soutenait l’endettement dans des pays qui avaient longtemps été soumis à une forte inflation et donc des taux élevés. Cette dette donnait de nouveaux moyens financiers à ces Etats pour des politiques publiques plus expansionnistes que jamais mais aussi aux ménages. Au moment du déclenchement de la crise, la chancelière mit du temps à comprendre et à accepter le rôle de la consommation allemande dans cette crise et l’importance de la relance pour la résoudre. Cela aurait pu lui coûter cher politiquement parlant. Comment pouvait-elle dépenser des milliards pour sauver les Grecs alors que les Allemands se débattaient dans la crise économique faisant face à des salaires qui avaient stagné depuis des années et des micro-jobs peu rémunérateurs, si encore, ils n’étaient pas au chômage ?
Elle s’attaqua donc à ce sujet à partir de 2011. Et, grâce au redressement des finances publiques, puis aux excédents budgétaires à partir de 2014, elle a significativement soutenu cette consommation. Elle finança par exemple des programmes pour l’intégration des réfugiés en 2015 et 2016 ou encore en imposant un salaire minimum en janvier 2015 qui est aujourd’hui un peu plus élevé que le SMIC français. Le résultat est là : non seulement la consommation intérieure est repartie lors de ce dernier mandat mais la croissance se révèle solide. Après une chute du PIB de plus de 5% en 2009 suite à la crise économique, la croissance économique a dépassé les 3,5% en 2010 et 2011 avant de se stabiliser autour de 0,5% en 2012 et 2013. Elle dépasse les 1,5% depuis 2014. Qui plus est, à un taux de chômage de 4,2%, l’économie allemande est proche du plein emploi. Ce taux était à 11% lorsqu’Angela Merkel est arrivée au pouvoir. Pour comparaison, il était à 8% en France en 2005 et à 10% fin 2016 à…
Pour autant, ces bons résultats économiques peuvent aussi cacher quelques surprises qui constituent autant de défis pour la future nouvelle chancelière si elle ne veut pas que son quatrième mandat soit celui de trop comme ce fut le cas pour Konrad Adenauer et Helmut Kohl. La croissance est certes dynamique mais, depuis 2012, elle est systématiquement inférieure à celle des Etats-Unis et du Royaume-Uni probablement à cause de la faiblesse des investissements… Comme une conséquence de cela, le revenu par habitant s’est certes redressé, expliquant le dynamisme de la consommation, mais il manque encore de solidité. Il diminue ainsi en 2012 et en 2015 et reste durablement inférieur à son niveau de 2008 (il était de 46890$ par an et par habitant en 2008 selon les données fournies par le FMI, il n’atteindrait que 41902$ en 2016) et à celui des Etats-Unis, pays d’ailleurs avec lequel l’écart tend à se creuser depuis 2009 (il est en effet passé de 48302$ par an et par habitant aux Etats-Unis en 2008 à 57436 $ en 2016)…
Cette situation est restée néanmoins sous contrôle et n’a pas entraîné de revendications massives de la part des salariés, des syndicats ou des partis d’opposition car le niveau des prix reste relativement modéré et la vie moins coûteuse qu’ailleurs en Europe. Pour autant, c’est l’un des principaux risques économiques du prochain mandat de la chancelière car une augmentation des prix entraînerait une baisse du pouvoir d’achat et donc de la consommation… Une telle situation fragiliserait alors tout le bilan économique de Madame Merkel ! A suivre…