06.11.2024
Kenya, une décision sans précédent en Afrique
Tribune
4 septembre 2017
Un échec cuisant pour Kenyatta
Uhuru Kenyatta avait été déclaré vainqueur avec 54% des votes, par 1,4 million de suffrages d’écart contre le chef de file de l’opposition, Raila Odinga, qui avait obtenu 44% des suffrages. Ce dernier avait immédiatement crié à la fraude massive après l’annonce des résultats.
Optant pour une contestation par les voies légales plutôt que par des manifestions de rue, Odinga et le National Super Alliance, la coalition de l’opposition, avaient déposé, sans trop y croire, un recours devant la Cour suprême pour contester les résultats. En procédant de la sorte, l’opposition a fait preuve de maturité, le but étant d’éviter une répétition des violences interethniques consécutives aux élections de 2007 et qui avaient fait plus de 1 200 morts et 600 000 déplacés. Les incidents s’étaient limités à des manifestations à Kisumu et dans les bidonvilles de Matharé et de Kibera de la capitale.
Dans sa décision, la plus haute instance judiciaire du pays invoque des irrégularités relevées dans les opérations de vote. « A la question de savoir si les illégalités et irrégularités ont affecté l’intégrité de l’élection, la Cour est d’avis que c’est le cas », a déclaré le président de la Cour, David Maraga. La fraude serait d’origine informatique, liée au système d’enregistrement et de transmission des données que l’on croyait pourtant très efficace. L’assassinat fin juillet d’un membre de la commission électorale, Christopher Msando, aurait permis à des hackers de récupérer ses codes d’accès au système informatique, d’y entrer et de manipuler les données.
De nouvelles élections : dans quelles conditions ?
L’opposition a salué une « décision historique ». Le charismatique et opiniâtre Odinga, 72 ans, qui, après une carrière politique tumultueuse, en est à sa quatrième tentative, a cette fois gagné en crédibilité politique en jouant le jeu des institutions, à défaut de gagner enfin en légitimité tant qu’il n’a pas été élu. Que va-t-il faire ? En attendant le nouveau scrutin, il va logiquement mettre la pression sur l’Independent Electoral and Boundaries Commission‘s, la Commission électorale, totalement discréditée par la décision de la Cour suprême. Il a déjà déclaré n’avoir aucune confiance » dans sa capacité à conduire une nouvelle élection. Comment dans ces conditions organiser le scrutin ? Odinga sera aussi en droit de s’interroger sur la légalité de l’élection des 47 gouverneurs, des députés et des sénateurs, également élus le 8 août dans les mêmes conditions que le chef de l’Etat, avec une forte progression des membres de son parti, le Jubille Party. Odinga sera enfin en droit de manifester le peu de crédit qu’il accorde aux observateurs étrangers, de l’Union européenne, du Commonwealth, de la Commission Carter dirigée par John Kerry et de l’Union africaine conduite par Thabo Mbeki qui, dans leur très grande majorité, avaient déclaré que les élections du 8 août pouvaient être considérées comme « credible, fair and inclusive ». Laxisme ? Complaisance ? On peine à le croire mais il faudra à l’avenir davantage compter sur les associations de la société civile kenyane, particulièrement efficaces, pour surveiller le déroulement des élections.
Quoi qu’il en soit des préparatifs et des résultats des nouvelles élections, la démocratie élective africaine vient de connaître une avancée significative et le cas kenyan pourra désormais être invoqué ailleurs, là où les tripatouillages des fichiers électoraux et des résultats sont monnaie courante. Le Kenya rejoint les pays – Ghana, Bénin, Sénégal – parmi les plus vertueux sur ce terrain.