18.11.2024
Comment la désescalade en Corée du Nord pourrait aboutir à une reconnaissance de fait d’une nouvelle puissance nucléaire ?
Presse
17 août 2017
Kim Jong-un a-t-il jamais eu l’intention d’effectuer un tir de missile à proximité de Guam ? On peut en douter. Le dictateur nord-coréen est, comme son père avant lui, passé maître dans l’art de pousser la négociation en faisant usage d’une rhétorique très violente. Et ça marche, comme la crise actuelle semble le démontrer. Rappelons les faits. Cette crise n’est pas née de l’annonce de Kim, ni même d’activités inhabituelles (80 tirs de missiles depuis l’arrivée au pouvoir de Kim Jong-un fin 2011, une bonne douzaine depuis le début de l’année, business as usual, pourrait-on dire).
Cette crise est partie de la volonté du président américain de régler la question nord-coréenne. Une raison juste, compte-tenu du fait que ses prédécesseurs s’y sont montrés incapables, mais qui a sans doute manqué de préparation, et ne repose pas sur une stratégie. Ajoutons à cela que le président américain a totalement changé de méthode, lui qui proposait il y a quelques mois de rencontrer Kim Jong-un et de déjeuner autour d’un hamburger.
Sans aucune surprise, et comme de coutume, le régime nord-coréen a répondu à ces menaces par une surenchère, jusqu’à élever le niveau en suggérant d’effectuer un test à proximité de Guam, base aérienne et navale américaine très importante, et accessoirement le territoire américain le plus proche de la Corée du Nord (si on exclue les petites îles Marshall). L’apaisement semble avoir été préparé dès le départ, et sert de base pour une désescalade sur les termes imposés par Pyongyang, et non par Washington. La Corée du Nord est un régime totalitaire et brutal, sans doute ce que l’on fait de pire de nos jours, mais c’est un régime rationnel et qui parvient, en faisant usage de cette stratégie du pire, à survivre.
Au-delà des menaces proférées par le Président des Etats Unis, Donald Trump a également initié cette politique de pression sur la Chine pour obtenir des résultats. La stratégie en elle- même était-elle la bonne ?
Non, et pour plusieurs raisons. D’abord, il ne faut pas surestimer la relation entre la Chine et la Corée du Nord. Pékin est le seul pays qui maintient une activité économique avec son turbulent voisin, pour son plus grand avantage d’ailleurs (la Corée du Nord est très riche en ressources minières, indispensables à la Chine), mais les relations politico-stratégiques n’ont plus rien à voir avec le début des années 1950, quand Mao Zedong envoyait ses « volontaires » combattre aux côtés des Nord-coréens face aux troupes de l’ONU (essentiellement américaines). Ces dernières années, les relations se sont très fortement refroidies, Pékin cherchant, en vain, à rappeler à l’ordre Pyongyang à plusieurs reprises, et condamnant toutes les gesticulations des Kim. Dans ce contexte, le soutien de Pékin à la résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU imposant de nouvelles sanctions à la Corée du Nord ne fut pas une surprise (elle les a toutes votées depuis 2006, et le premier essai nucléaire nord-coréen), et s’accompagna même de l’adoption de sanctions, unilatérales celles-ci, imposées directement par Pékin. Considérer que la Chine soutient la Corée du Nord est donc aussi dépassé que déplacé.
Ensuite, si la position chinoise n’a pas attendu, comme je viens de le mentionner, les pressions de Trump pour se caractériser, celle-ci n’a aucune raison de connaître la moindre modification au prétexte que le président américain en émet le souhait. La Chine a, comme d’ailleurs l’ont fait les autres pays de la région, appelé Pyongyang et Washington à la retenue, mais elle a surtout pris acte du fait que les Etats-Unis, qui ne peuvent plus régler cette question par eux-mêmes, doivent compter sur le soutien chinois.
C’est ce qu’on appelle un aveu d’impuissance, et Donald Trump, en exigeant de Pékin une participation plus active, n’a fait que reconnaître la puissance chinoise. Après le retrait du TNP fin janvier, cela fait deux cadeaux offerts à la Chine en quelques mois, de quoi s’interroger sur les sympathies de Donald Trump à l’égard de l’empire du milieu. Plus sérieusement, le temps où Washington pouvait dicter ses règles à Pékin en Asie-Pacifique est révolu. Ce n’est pas Trump qu’il faut blâmer sur ce point, mais il ne faut pas non plus s’attendre à ce qu’il parvienne à inverser cette tendance.
Quelles seraient les conditions à remplir pour permettre une désescalade de la situation ? Quelle est la contrepartie recherchée par Pyongyang, Pékin, et Moscou ? Cette contrepartie est-elle acceptable par les Etats Unis et ses alliés Coréens et Japonais ?
Partons d’abord d’un constat, difficile à accepter sans doute, mais qui n’en demeure pas moins un fait et n’est donc pas inacceptable : la Corée du Nord est de facto une puissance nucléaire. Elle a procédé à cinq essais depuis 2006, dispose d’un arsenal, auquel viennent s’ajouter des missiles balistiques. C’est un Etat proliférant, inutile d’épiloguer sur ce point (une perte de temps aussi contre-productive que d’épiloguer sur le fait que c’est un régime totalitaire, ce que personne ne nie), mais la dénucléarisation, aussi souhaitable fut-elle, ne pourra se faire que dans la durée, et sur la base de négociations. La menace n’y fera rien, et poussera au contraire, comme elle le fait déjà, la Corée du Nord à pousser encore plus loin ses gesticulations. Reconnaître implicitement, car en dehors des traités internationaux, le statut de puissance nucléaire à la Corée du Nord peut permettre de renouer le dialogue. Dommage d’en être arrivé à ce stade, sans doute, mais on ne va pas refaire l’histoire.
Et puis ce n’est pas la première fois qu’on s’accommode de régimes autoritaires qui disposent de l’arme nucléaire. Le président sud-coréen, Moon Jae-in, y est favorable, lui qui souhaite reprendre les pourparlers avec son voisin pour éviter une escalade. Le Japon n’a pas d’autre choix que de suivre, sauf si Abe Shinzo souhaite partir seul en croisade, contre ses voisins, contre son opinion publique, et contre sa Constitution… La Russie et la Chine n’y voient pas d’inconvénient majeur, même si Pékin sait très bien que le nœud actuel ne lui est pas défavorable, et que le maintien du statu quo est par conséquent le scénario le plus enviable. Reste Washington. Compte-tenu des changements de cap de Donald Trump sur une multitude de sujets – rappelons à titre d’exemple qu’à l’été 2016, et alors en campagne électorale, il avait invité la Corée du Sud et le Japon à régler eux-mêmes la question nord-coréenne ce qui, au passage, ne fait que conforter l’idée selon laquelle il ne suit aucune stratégie claire – tout est possible. En attendant, cette crise va retomber, comme les précédentes, et jusqu’à la prochaine, le régime nord-coréen va se maintenir, et la population nord-coréenne va continuer de souffrir, la faute à des dirigeants brutaux et à des sanctions totalement inefficaces.