17.12.2024
« Il faut que l’OPEP tienne bon et applique plus strictement ses décisions »
Presse
16 août 2017
Les pays membres de l’OPEP et certains producteurs non OPEP appliquent, depuis janvier dernier, la décision de réduction de l’offre de pétrole sur le marché. L’objectif de booster les prix du pétrole n’a pas été atteint. Pourquoi, à votre avis ?
Lundi 14 août, dans la matinée, le prix du brent de la mer du Nord était d’environ 52 dollars le baril après avoir approché les 54 dollars/baril la semaine précédente. On peut évidemment penser que ces niveaux ne sont pas très élevés, ce qui est vrai, et que l’OPEP a échoué, mais il ne faut pas oublier qu’en janvier 2016 le brent était à un moment passé en dessous du seuil des 30 dollars le baril. Il faut donc aussi se demander ce qui se serait passé si l’OPEP et une dizaine de pays non OPEP n’avaient rien fait à partir de janvier 2017. Ces Etats ont empêché un effondrement des prix du pétrole et il faut porter cet acquis à leur crédit.
Un autre point à mettre au crédit de l’OPEP est que les réductions de production décidées le 30 novembre 2016 ont été fort bien appliquées. Sur les six premiers mois de 2017, le taux de respect des engagements pris est supérieur à 90%, ce qui est excellent.
Par contre, sur une base mensuelle, ce taux de respect est en train de baisser. Par ailleurs, les pays non OPEP associés à l’OPEP sont moins sérieux : le taux de respect de leurs engagements ne dépasse sans doute pas 60% sur la même période.
La production pétrolière non OPEP devait augmenter en 2017 après avoir baissé l’an dernier, en particulier du fait de la hausse de la production des Etats-Unis. Au sein de l’OPEP, la Libye et le Nigeria, qui ont été autorisés par l’organisation à produire autant qu’ils le pouvaient, affichent une croissance de leur production. De plus, les stocks pétroliers restent très élevés dans les pays de l’OCDE, même s’ils ont commencé à baisser tout récemment. Ces cinq facteurs expliquent que les cours du brut restent à des niveaux assez bas en dépit des efforts méritoires de l’OPEP.
Avec l’arrivée du schiste américain sur le marché et l’exemption de la Libye et du Nigeria de la limitation de production, est-ce que la stratégie adoptée par l’OPEP est la meilleure option pour peser sur les prix ?
Une chose est claire : changer radicalement de stratégie maintenant serait désastreux. Il faut que l’OPEP tienne bon et applique encore plus strictement les décisions de sa Conférence ministérielle de novembre 2016. Il faut aussi tenter de réintégrer le Nigeria et la Libye dans le jeu, au moins en bonne partie. Il faut également envisager de prolonger au-delà de mars 2018 les réductions de production si cela devait se révéler nécessaire. La priorité est d’améliorer et d’approfondir la stratégie mise en place à la fin 2016 et appliquée depuis un peu plus de sept mois seulement car celle-ci a produit certains résultats même s’ils sont insuffisants.
Que reste-t-il à faire aux pays de l’OPEP pour ne plus subir les aléas du marché et faire face aux stocks américains ?
L’OPEP et les autres acteurs de l’industrie pétrolière ne peuvent échapper complètement aux aléas du marché. L’OPEP est certes une organisation importante, mais elle ne maîtrise pas la demande et ne contrôle que 40% au plus de l’offre pétrolière mondiale. Pour ce qui concerne les stocks pétroliers des Etats-Unis (brut et produits raffinés), il faut souligner qu’ils sont en train de diminuer et que la réduction de la production de l’OPEP n’y est pas pour rien. Entre la semaine qui s’est achevée le 10 février 2017 et celle qui s’est terminée le 4 août, ces stocks (hors stocks stratégiques détenus par le gouvernement fédéral) ont baissé de 48 millions de barils, soit de 3,5%. L’évolution est lente mais les choses vont dans la bonne direction.
L’ouverture du capital de la compagnie saoudienne Aramco est-ce un signe de déclin du plus grand producteur de pétrole ?
La réponse courte est non. Mais la chute des prix qui a débuté au cours de l’été 2014 a affaibli tous les pays producteurs, qui ont fait face à une diminution considérable de leurs revenus d’exportation et de leurs recettes budgétaires, et l’Arabie Saoudite n’a pas été épargnée. Le royaume accumule des déficits budgétaires très importants et entend commencer à réduire ce déficit dès cette année. Au-delà des considérations budgétaires, la volonté d’ouvrir très modestement le capital de la Saudi Aramco s’inscrit dans une stratégie de diversification de l’économie saoudienne et de modernisation de la gestion de la compagnie nationale. L’aspect financier n’est pas seul en jeu.
Quelles sont les perspectives pour le marché en 2018 ?
Pour les producteurs, le point positif est que la demande pétrolière mondiale continuera à croître en 2018, comme cela a été le cas chaque année depuis 2010 sans exception. Le principal point négatif est que l’offre pétrolière non OPEP devrait augmenter de façon plus importante qu’en 2017 mais cela dépendra bien sûr de l’évolution des prix du pétrole.
L’heure de l’après-pétrole a-t-elle sonné, notamment avec l’apparition des voitures électriques ?
Le pétrole a encore de beaux jours devant lui dans le secteur des transports et la demande croissante des pays en développement et émergents fait que la consommation pétrolière mondiale va continuer à augmenter pendant plusieurs années. A long terme, la montée en puissance des voitures électriques constitue en effet une menace pour la demande pétrolière puisque l’électricité vient concurrencer le pétrole dans le secteur des transports qui est le bastion de l’or noir.
Mais cette montée en puissance prendra du temps et il ne faut pas oublier que le secteur des transports ne se réduit pas aux voitures. Pour les camions, la solution électrique n’est pas pour demain. Et il y a aussi les transports aériens et maritimes qui sont très dépendants des carburants pétroliers. Certes, la consommation pétrolière ne continuera pas à croître éternellement. Elle connaîtra un jour un pic et un déclin, mais l’heure de l’après-pétrole est encore loin d’avoir sonné.
Propos recueillis par Nadjia Bouaricha