ANALYSES

Démission de la ministre de la Défense japonaise, Shinzo Abe fragilisé

Tribune
1 août 2017
La ministre de la Défense du Japon, Tomomi Inada, a annoncé vendredi 28 juillet sa démission après une série de faux-pas ayant contribué à faire plonger la popularité du premier ministre Shinzo Abe. Le premier ministre comptabilise moins de 30 % de soutiens dans de récents sondages, sur fond de soupçons de népotismes.

Mme Inada a expliqué « prendre ses responsabilités » après avoir reçu un rapport selon lequel des
responsables militaires avaient illégalement dissimulé des comptes-rendus au jour le jour des soldats japonais, dans le cadre d’une mission onusienne de maintien de la paix (PKO) au Soudan du Sud .

La controverse sur ce rapport remonte à décembre, lorsque le ministère de la défense a refusé une demande de divulgation d’information pour les documents couvrant les activités de la Force d’autodéfense (FAD) au Sud-Soudan en juillet de l’année dernière, indiquant qu’ils avaient été détruits.

Le ministère a ensuite reculé, disant que certaines des données avaient été trouvées sur un ordinateur dans le bureau de l’état-major de la FAD et en divulguaient des sections.
Mais les hauts responsables de la FAD semble-t-il savaient que les FAD terrestres avait effectivement les données.

Le ministère de la Défense a déclaré vendredi qu’une enquête interne sur le scandale a révélé une série de violations de la loi impliquant le ministère et les fonctionnaires, mais a nié que Mme Inada ait joué un rôle dans la dissimulation des données.

Cette avocate de 58 ans, devenue politicienne, a assumé le portefeuille de la défense depuis le remaniement du Cabinet précédent en août de l’année dernière. Sa nomination avait été controversée en raison des ses prises de position nationalistes et révisionnistes. Comme le soulignait Le Monde en août 2016 « élue depuis 2005 du département de Fukui (centre), cette ancienne avocate est connue pour ses prises de position nationalistes, proches de celle de M. Abe. Avant de s’engager en politique, elle a notamment défendu des officiers nippons s’étant sentis diffamés par les écrits de l’écrivain Kenzaburo Oe sur leur comportement pendant la bataille d’Okinawa, en 1945.Depuis son entrée au Parlement, elle multiplie les prises de position révisionnistes, niant le massacre de Nankin par l’armée impériale japonaise en 1937 ou l’existence des femmes dites « de réconfort ». En 2015, année des 70 ans de la fin de la guerre, elle a plusieurs fois appelé à ne pas s’excuser. Membre de l’organisation ultranationaliste Nippon Kaigi, elle a également rejeté l’emploi du mot « invasion » pour qualifier l’action du Japon en Asie et défend les visites au controversé sanctuaire Yasukuni, qui honore les soldats morts pour la patrie, parmi lesquels des criminels de guerre. Mme Inada est également favorable à la révision de la Constitution. »

Mme Inada voyait aussi sa position fragilisée depuis la campagne pour les élections municipales de Tokyo. Le 27 juin 2017, Mme Inada avait déclaré qu’un candidat de son parti bénéficiait de l’appui du ministère de la défense et des forces d’autodéfense. Comme celles-ci sont censées être politiquement neutres, cette déclaration a été très critiquée, et cela a forcé le premier Ministre Abe et Inada à présenter leurs excuses

Coup dur

Cette démission est un coup dur pour le premier ministre japonais qui doit conduire un remaniement ministériel la semaine prochaine pour justement redresser sa popularité défaillante. C’est le sixième ministre qui doit partir en raison d’un scandale depuis que Shinzo Abe est revenu au pouvoir fin 2012. En avril, Masahiro Imamura a démissionné de son poste de ministre de la reconstruction et des catastrophes pour avoir déclaré que c’était « une bonne chose » qu’en mars 2011 le tremblement de terre et le tsunami avaient frappé la région de Tohoku plutôt que la ville de Tokyo.

Avant le renoncement de Mme Inada, réclamé depuis des semaines par l’opposition, un autre coup dur avait atteint M. Abe : une défaite historique de sa formation aux élections à Tokyo.
Jamais le PLD, qui domine la vie politique nippone depuis 1955, n’y avait connu un tel fiasco : il n’a réussi à conserver que 23 des 127 sièges de l’Assemblée de la métropole, souligne Karyn Nishimura-Poupée, correspondante au Japon de l’Agence France Presse.

Parmi les successeurs potentiels d’Inada, l’agence de presse Kyoto cite le nom d’Itsunori Onodera, qui fut ministre de la défense pendant près de deux ans, à partir de la fin 2012, date du retour de Shinzo Abe au pouvoir. L’affaire des rapports d’activité des Forces d’autodéfense japonaises au Soudan du Sud a conduit le général Toshiya Okabe, chef d’état-major des forces terrestres, à décider de démissionner, ont rapporté des médias japonais.

Cette affaire porte aussi un coup dur à la réforme des forces armées souhaitée par Shinzo Abe. En effet les documents qu’a cachés Mme Inada avaient enregistré la détérioration de la situation sécuritaire au Sud-Soudan et leur divulgation l’an dernier auraient pu entraver la pression du gouvernement pour prolonger la participation des troupes dans la mission de l’ONU et attribuer de nouvelles responsabilités de sécurité éventuellement plus risquées, souligne The Japan Times.

De tels documents sont importants au Japon où la population est fortement sensible aux risques que peuvent prendre les forces armées à l’étranger et à leur éventuelle implication dans un conflit, ce qu’une grande majorité de Japonais ne souhaitent pas. De tels documents ne vont donc pas dans le sens d’un apaisement des tensions autour du rôle des forces armées japonaises en mission à l’étranger et risquent au contraire d’encore renforcer les préventions pour leur donner un rôle accru hors du Japon. C’est donc un nouveau coup porté à Shinzo Abe dont le but ultime, s’agissant la politique de défense et qu’il porte depuis son premier passage raté à la tête du gouvernement en 2006-2007, est de parvenir à réformer la Constitution pacifiste entrée en vigueur en 1947 et jamais réformée depuis.
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