17.12.2024
Juillet 2017, quitte ou double politique au Venezuela
Tribune
13 juillet 2017
Le procès en illégitimité est équitablement partagé. Pour les autorités, les opposants sont des putschistes en puissance et en action. Pire, ils seraient l’émanation d’un complot anti patriotique ourdi par des forces étrangères, hostiles et réactionnaires. De son côté, l’opposition conteste la légitimité du président Nicolas Maduro. Mal élu en 2013, balayé aux législatives de 2015, il manipulerait les institutions pour perpétuer son pouvoir, aidé par les reliquats du communisme international et le régime cubain qui serait son modèle.
Chacun présente son récit comme vérité transcendantale et la vérité ne se négociant pas, elle imposerait son évidence. Cette évidence autiste empêche tout dialogue reposant sur l’obligation minimale d’une reconnaissance mutuelle. Le vote organisé par chacun selon les modalités qui lui correspondent est sensé trancher le différend : le 16 juillet au profit des opposants et le 30 à celui du Parti socialiste unifié du Venezuela. Autant dire que ces consultations ont pour vocation de mobiliser les deux camps au seul bénéfice d’une exacerbation des violences. Le terrain est déjà bien préparé. Plus de 90 personnes des deux camps sont tombées au champ de ces certitudes intolérantes à tout dialogue.
La communauté régionale et internationale, pour reprendre la formule vide et généralement utilisée en ces circonstances, ne facilite pas la résolution du conflit. Entrés dans le jeu des anathèmes croisés, les uns et les autres soutiennent leur camp au détriment d’une sortie de crise négociée. Luis Almagro, le secrétaire général de l’Organisation des Etats américains (OEA), mobilise ses capacités intellectuelles et institutionnelles contre le président Maduro. Il s’efforce de trouver la majorité requise par les statuts de l’institution pour obtenir l’adoption d’une condamnation éventuellement assortie de sanctions. Il s’appuie sur le Brésil, dont le chef d’Etat intérimaire Michel Temer a accédé aux affaires de façon démocratiquement frauduleuse, l’argentin Mauricio Macri, et sur les membres de l’Alliance du Pacifique. Le président vénézuélien bénéficie de son côté du soutien inconditionnel de la plupart des pays membres de l’ALBA, ainsi que de la Russie ; tous condamnent l’ingérence inadmissible des réactionnaires libéraux de tout poil et « tout monde ».
Le scénario du pire est donc bien installé dans le paysage politique vénézuélien. Est-il pour autant inscrit dans le marbre ? La question en tous les cas mérite examen. Toute situation de conflit génère deux types de comportements. Les fondamentalistes des deux camps sûrs de leurs raisons veulent imposer leurs vérités, quel qu’en soit le prix. Mais il y a aussi ceux qui privilégient la paix civile et refusent que la vérité, fût-elle la leur, puisse s’imposer au prix du sang. La crise vénézuélienne a fabriqué des partisans du dialogue dans les deux camps en présence, tout comme dans la « communauté internationale ». Gagner le pouvoir sur un champ de ruines ne bénéficierait en effet à personne. Le Venezuela est en crise économique, sécuritaire et sociale majeure. Le vainqueur d’un affrontement civil hériterait d’un pays dévasté et hautement difficile à maitriser. Les voisins sud-américains qui ont déjà à gérer des dizaines de milliers de migrants économiques auraient, qu’ils le veuillent ou non, à en accueillir un plus grand nombre.
C’est sans doute cette prise de conscience qui permet de comprendre la fragmentation des blocs antagonistes en présence. Un courant « chaviste » historique personnalisé par la procureure générale, Luisa Ortega, s’efforce de contraindre le président Maduro et ses collaborateurs les plus proches à respecter les règles démocratiques du petit livre bleu d’Hugo Chavez, la Constitution de 1999. Le message est sans doute à l’origine, via les frères Rodriguez, Delcy et Jorge, de la libération conditionnelle de Leopoldo Lopez, leader du parti de l’opposition Volonté Populaire, considéré comme la branche plus radicale. Leopoldo Lopez affirme n’avoir rien négocié. Ses partisans ont pourtant dès son élargissement défendu la nécessité de lever le pied des violences de rue. Ces évolutions sont suivies discrètement, mais avec une certaine efficacité, par les trois négociateurs mandatés par l’Union des nations d’Amérique du Sud (UNASUR), les ex chefs de gouvernement d’Espagne (José Luis Rodriguez Zapatero), de Panama (Martin Torrijos) et de la République dominicaine (Leonel Fernandez). L’Equateur, membre de l’Alliance Bolivarienne de notre Amérique (ALBA), s’est abstenu au cours du débat sur le Venezuela à l’OEA ; ce qui donne à ce pays et à son ancien président, Rafael Correa, une option médiatrice.
Il reste malgré tout plusieurs inconnues qui auront leur poids dans le déroulé des prochaines semaines. L’armée, qui est l’une des composantes du régime, n’a dans ses hautes sphères aucune raison de lâcher le président. Mais face à une réalité en dégradation galopante, comment réagirait-elle ? La préservation de ses prébendes ne pourrait-elle pas paradoxalement la conduire à provoquer une relève « à l’égyptienne » ? Une autre interrogation locale concerne le comportement du tiers de la population qui pendant longtemps est restée fidèle au « Commandant » Chavez. De toute évidence, le pouvoir a perdu le soutien des quartiers populaires ; la crise économique et les pénuries sont passées par là. Pour autant, les « pauvres » ne sont pas des partisans de l’opposition représentatifs de classes moyennes en capilotade mais gardant leur identité de classe. Trois acteurs extérieurs ont potentiellement une influence potentielle forte. Ils pourraient faciliter une solution transitionnelle, garantissant la transparence des élections, l’alternance et la garantie d’une forme d’impunité pour les perdants. Ces trois acteurs sont Cuba, les Etats-Unis et le Saint-Siège. Ce dernier a essayé sans succès de jouer les médiateurs fin 2016 mais le Pape est attendu en Colombie début septembre et il a reçu il y a quelques semaines les évêques vénézuéliens. Tout semble donc indiquer que le Vatican n’a pas renoncé à imposer la paix civile dans un pays de tradition catholique. Pour sa part, Cuba a tout intérêt pour son économie à jouer la carte de l’apaisement. La Havane a un savoir-faire dont on a pu mesurer l’efficacité pour trouver des compromis, ayant aidé à résoudre le conflit civil du Salvador et celui des FARC avec les autorités colombiennes. Enfin, les Etats-Unis de Donald Trump, comme de Barak Obama ou de George Bush, pratiquent un service minimum aux côtés de l’opposition ; pétrole oblige puisque le Venezuela, quoi que disent les uns à Washington et les autres à Caracas, est le troisième fournisseur de pétrole des Etats-Unis. Cependant, seule la perspective d’un effondrement de l’Etat vénézuélien parait en mesure de faire bouger la Maison Blanche.