ANALYSES

Le citoyen européen et l’Europe de la défense : un avenir à éclaircir

Tribune
10 juillet 2017
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Le Conseil européen des 22 et 23 juin derniers a été favorable à l’approfondissement de l’Europe de la défense. Les 28 chefs d’Etats de l’Union européenne (UE) se sont accordés sur différentes mesures et notamment la réalisation de la Coopération structurée permanente – introduite dans le Traité de Lisbonne mais non appliquée – mais aussi la validation du lancement du Fond européen de la défense tel que proposé par la Commission européenne. Ce nouvel élan en faveur d’une politique de défense commune intervient dans un contexte opportun (du fait de la politique internationale de l’administration américaine de Donald Trump et des négociations liées au BREXIT). Néanmoins, cette démarche doit pouvoir s’accompagner d’une légitimité démocratique, c’est-à-dire de l’aval des citoyens européens puisque l’essence même de l’Europe de la défense est leur propre sécurité. Or, bien que cette intégration des Etats en matière de défense soit, au premier abord, perçue positivement par une majeure partie des citoyens des pays de l’UE, elle demeure difficilement identifiable à leurs yeux. Ce paradoxe soulève alors deux interrogations. La première concerne la capacité de l’Union européenne à communiquer et à rendre lisible ce qu’elle souhaite mettre en œuvre en matière de défense. La seconde souligne la perception plus ou moins hétérogène de ce que représente l’Europe de la défense selon que l’on soit citoyen d’un Etat membre ou d’un autre de l’UE.

Un plébiscite global en faveur d’une Europe de la défense qui masque des perceptions divergentes

L’environnement international évolue rapidement et de façon incertaine. La multiplication des crises aux frontières de l’Europe et les menaces sécuritaires à l’intérieur même des Etats, la politique américaine de l’administration de Donald Trump ou encore les négociations à venir sur le Brexit sont autant d’éléments qui nécessitent un rapprochement des Etats de l’UE, y compris en matière de défense et de sécurité. Car les turbulences internationales d’aujourd’hui rendent difficile la définition de ces phénomènes mondiaux. Il est alors plus compliqué de les anticiper.

Dans ce cadre-là, les citoyens des pays membres de l’UE n’hésitent pas à voir en l’Union un acteur majeur dans la gestion des affaires du monde et la résolution des crises. La plupart des citoyens européens (entre 60% et 80% selon les Etats membres de l’Union[1] d’après un sondage réalisé par la Commission européenne) estiment que l’UE doit définir sa politique étrangère de façon indépendante de celle des Etats-Unis. Mieux encore, excepté le Danemark (52%) et la Suède (50%), les pourcentages sont identiques lorsqu’il s’agit de se prononcer en faveur d’un siège propre à l’UE au sein du Conseil de sécurité des Nations unies[2]. Plus spécifiquement en matière de défense et de sécurité, un récent sondage réalisé par le Parlement européen (2016) dans les 28 pays de l’Union révèle que 51% des citoyens européens estiment à l’heure actuelle la politique menée par l’UE insuffisante, alors même que 66% des citoyens des Etats membres se prononcent en faveur d’un approfondissement de l’action européenne en la matière[3]. Il est donc indéniable de voir que l’UE est d’instinct plébiscité comme étant un acteur majeur en devenir à travers une politique de défense commune[4].

Mais cela ne signifie pas forcément que le contenu même de ce que doit être cette Europe de la défense soit le même pour tous les Etats membres. Par-delà une validation de principe, la difficile mise en œuvre d’une politique de défense commune reflète l’existence de divergences de stratégies. Une Union européenne proactive, et non seulement réactive en matière de défense, est la condition sine qua none au développement d’un discours politique qui pourra être compris par les citoyens européens. Pour autant, la difficulté reste entière. En effet, la définition d’attentes communes doit permettre la mutualisation de certains moyens de défense, et la mise en commun d’outils nécessaires à la protection des citoyens européens. Sommes-nous prêts à nous dégager de nos propres intérêts économiques et stratégiques nationaux pour aller vers une européanisation de ces enjeux ? La menace est-elle perçue de la même manière – et est-elle la même ? – selon que l’on soit membre d’un Etat européen ou d’un autre ? Rien n’est moins sûr.

La nécessaire communication de l’Union européenne au sujet de sa politique de défense commune

Il existe à l’heure actuelle une contradiction entre une population qui perçoit une menace réelle pour sa sécurité et qui pourtant a du mal à percevoir les réponses apportées par les institutions européennes pour lutter contre ces dangers. Il en résulte une forme de confusion, de craintes et de scepticisme quant à la capacité de l’Union à réagir aux enjeux de défense qui lui sont posés. Il apparait donc nécessaire qu’un dialogue plus direct soit établi avec les citoyens européens sur les enjeux de défense. Mais il existe aujourd’hui plusieurs obstacles à la nécessaire compréhension de ces problématiques.

Il se situe tout d’abord au niveau de la manière de communiquer de l’Union européenne. Le langage utilisé est technique, il ne parle pas forcément aux citoyens non aguerris aux questions sécuritaires. Ces derniers doivent pourtant pouvoir être informé de l’évolution de la politique européenne de défense. Actuellement, cette communication est biaisée pour plusieurs raisons. La première est que les enjeux liés à la défense sont principalement débattus à l’échelle nationale. Cela s’entend puisque la protection du territoire étatique est une prérogative traditionnellement régalienne. Mais par ce biais, il devient difficile de dégager des priorités communes à l’échelle européenne, puisque chaque Etat reste concentré sur la définition des intérêts nationaux. Il en résulte que les citoyens européens ont tendance à concevoir la politique de défense européenne au prisme des intérêts de leur pays. D’autre part, les enjeux de défense sont régulièrement débattus dans le cadre de l’OTAN. Il est alors difficile pour les citoyens européens de percevoir le lien entre l’existence reconnue de menaces insaisissables, leur propre sécurité et l’action européenne en la matière.

Plusieurs mesures pourraient être mises en œuvre pour faire adhérer les citoyens européens aux évolutions européennes en matière de défense. Il faudrait tout d’abord que l’Union européenne puisse définir auprès d’un large public les menaces communes qui pèsent sur le territoire. Cela sous-entend un travail conséquent sur la manière de définir les enjeux communs à la fois au sein du Parlement européen mais aussi au niveau des Parlements nationaux. Il faut en outre, comme l’affirme le Général de corps d’armée Jean-Paul Perruche – ancien directeur de l’EUMS – amener les citoyens européens à percevoir les bénéfices de l’UE en matière de défense à travers l’existence de services dédiés à la communication de l’UE sur ces thématiques. En ce sens, l’adoption de la Stratégie globale de l’Union européenne – dévoilée le 28 juin 2016 – est une réelle feuille de route en même temps qu’un outil de diffusion d’information pour les citoyens européens. La présentation en mars 2017 d’un Livre Blanc sur l’avenir de l’Europe est elle aussi une étape cruciale pour renforcer le dialogue entre les institutions européennes et les citoyens de l’UE.

La perspective d’un Livre Blanc européen sur la défense et la sécurité, débattu au sein des instances européennes, pourrait être une étape supplémentaire pour permettre ce rapprochement entre les perceptions citoyennes, leurs attentes en matière de sécurité et de défense et les réponses apportées par l’Union européenne.

[1] Commission européenne
[2] Commission européenne
[3] Jacques Nancy, « Les Européens en 2016 : perceptions et attentes, lutte contre le terrorisme et la radicalisation », Eurobaromètre spécial du Parlement européen, Service de Recherche du Parlement européen, juin 2016,
[4] Olivier de France, « What EU citizens think about European defence», EUISS, 2013
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