19.11.2024
Le conflit du Haut-Karabakh entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan risque-t-il de dégénérer ?
Interview
23 juin 2017
Où en sont les tensions entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan depuis la résurgence du conflit en avril 2016 ?
Faisons tout d’abord un court rappel historique. Le Haut-Karabakh est une région qui fut rattachée à la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan sous Staline, majoritairement peuplée d’Arméniens. À la fin des années 1980, le Haut-Karabakh, soutenu par l’Arménie, réclame son indépendance, ce qui déclenche un conflit ouvert entre Erevan et Bakou. Celui-ci se termine en 1994 à la défaveur de l’Azerbaïdjan, avec un accord de cessez-le-feu signé le 16 mai 1994. L’Arménie occupe environ 15 à 20% du territoire azerbaïdjanais, dont le Haut-Karabakh mais également des territoires à l’Ouest, au Sud et à l’Est. Le conflit a provoqué plus d’un million de réfugiés, dont la grande majorité en Azerbaïdjan.
En avril 2016, une résurgence de ce conflit d’une ampleur inédite, appelé parfois « guerre des 4 jours » a provoqué environ 200 victimes. Le rapport de l’International Crisis Group fait le point sur les conséquences de ce « réchauffement » sur la dynamique du conflit.
Les affrontements d’avril 2016 ont effectivement représenté un point d’inflexion dans les rapports de force qui prévalaient depuis la signature du cessez-le-feu en 1994. L’Azerbaïdjan a récupéré environ 2000 hectares de territoires occupés par l’Arménie depuis 1994, cette dernière n’ayant pas su résister aux assauts de son voisin. Côté azerbaïdjanais, la sensation que le rapport de force a évolué en sa faveur risque d’encourager les partisans d’une solution militaire, qui se sont fait plus vocaux cette dernière année.
Côté arménien, les dysfonctionnements au sein de l’institution militaire lors de la « guerre de 4 jours », souvent liés à la corruption latente, ont alimenté la colère des citoyens, ce qui réduit la marge de manœuvre du gouvernement de Erevan pour négocier. Les partisans d’une reprise des négociations sont quasiment inaudibles (à l’instar de l’ancien président Levon Ter-Petrossian, qui a récolté moins de 2% des suffrages). Le lancement d’une initiative « Armée Nation » fait craindre la militarisation progressive de la société, et en particulier des jeunes générations, obérant encore davantage les espoirs d’apaisement dans le futur.
On est face à ce que les théoriciens ont appelé un « dilemme de sécurité », où les actions de l’un renforce la détermination de l’autre. Ce cercle vicieux d’une course à l’armement qui continue et la polarisation progressive des deux sociétés après le conflit d’avril 2016 qui a été observée par certains chercheurs, dont ceux de l’ICG, font craindre que les initiatives de paix potentielles ne récoltent que peu d’écho.
Quel rôle joue la Russie dans ce conflit ?
De par sa présence historique dans la zone, ses intérêts stratégiques toujours là et sa position de co-présidente du Groupe de Minsk (avec la France et les États-Unis), elle en est un acteur central. La Russie joue toutefois un rôle ambigu.
Elle est considérée comme l’alliée traditionnelle de l’Arménie, à qui elle fournit la majeure partie de son équipement militaire à prix réduit. Elle possède également deux bases militaires, l’une terrestre, l’autre aérienne, sur le sol arménien. L’Arménie s’inscrit également dans les projets d’intégration régionale chapeautée par Moscou, comme l’OTSC et l’Union économique eurasiatique. Deux organisations dont l’Azerbaïdjan ne fait pas partie. La Russie n’est en revanche pas présente au Haut-Karabakh en tant que tel, elle n’y possède aucun contingent et n’en contrôle pas directement les dirigeants de facto.
Malgré cette alliance stratégique avec l’Arménie, la Russie semble, depuis quelques années, s’être rapprochée de l’Azerbaïdjan, ce qui s’est notamment traduit par des ventes d’armements importantes. La Russie est ainsi vue comme jouant sur les deux tableaux, en maintenant un équilibre des forces entre Arménie et Azerbaïdjan, ce qui favorise davantage un statu quo qu’une résolution du conflit. Moscou agit de la sorte pour préserver son influence dans le Sud-Caucase où elle a des intérêts stratégiques. Erevan comme Bakou ne sont pas dupes et déplorent cet état de fait, mais n’ont pas vraiment d’alternative.
La Russie se pose malgré tout en médiateur et a notamment proposé un plan de résolution en 2015, qui n’a pas convaincu les deux pays. La proposition d’envoyer des forces russes de maintien de la paix au Haut-Karabakh est notamment refusée par les deux parties. Si les capacités du gouvernement russe de dialoguer avec Bakou et Erevan sont indéniables, il ne faut pas sous-estimer la méfiance des deux belligérants envers le Kremlin, ce qui ne favorise pas les négociations dans le cadre du Groupe de Minsk.
Pourquoi le groupe de Minsk est-il incapable de trouver une résolution pacifique au conflit ?
Le groupe du Minsk est co-présidé par la France, les États-Unis et la Russie. Il y a eu plusieurs phases de négociations au sein de ce groupe et la phase de la deuxième moitié des années 2000 a pu porter certains espoirs. L’un des principaux facteurs qui influe sur la capacité du Groupe de Minsk à trouver des solutions communes et viables réside dans la qualité des relations bilatérales entre les co-présidents. Or, depuis le début des années 2010, les relations entre la Russie d’un côté et les États-Unis et la France de l’autre se sont fortement dégradées.
Ces dernières années, la Russie a davantage été à l’initiative sur le dossier du Haut-Karabakh. Cela étant, la France pourrait profiter du moment de flottement autour du leadership américain et du fait que Moscou se heurte à la défiance conjointe de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan pour occuper cet espace diplomatique, afin de lancer une initiative. Il sera intéressant de voir si le président Emmanuel Macron profitera de son momentum international (s’il perdure) pour se risquer à relancer les négociations au sein du Groupe de Minsk.