17.12.2024
Paradoxes du dialogue économique entre l’Europe et l’Amérique latine
Presse
15 juin 2017
Paradoxal en effet pour la France qui perpétue une manifestation par inertie plus que par conviction. Un bref retour en arrière permet de mesurer le mouvement, circulaire de la diplomatie française. Comme le vaisseau de pierre décrit par Julio Saramago, prix Nobel portugais de littérature, la France après avoir cinglé droit devant vers les Amériques, a viré lof pour lof et repris le chemin des Europe. Charles de Gaulle et François Mitterrand en leur temps avaient suscité espoirs et grands contrats. Jacques Chirac avait ouvert les portes de l’Élysée à Rigoberta Menchú et aux peuples premiers. Nicolas Sarkozy a laissé filer vers Madrid le Bureau extérieur Afrique-Europe de la BID, jusque-là installé à Paris, avenue Marceau. Dans la foulée, il a laissé mourir en suspendant tout soutien financier l’Union latine siégeant depuis 1954 dans la capitale française. Son successeur François Hollande a signalé une appétence commerciale militante, qui l’a conduit de l’Argentine au Pérou, en passant par la Colombie, Cuba et Haïti. Ni moins, mais ni plus. Ces va-et-vient reflètent l’absence d’une ligne générale. Elle n’a en rien été corrigée par le vainqueur des dernières présidentielles. On se rappelle qu’Emmanuel Macron – c’est le nom du chef de l’État français élu en mai dernier – a délocalisé en pleine mer, à l’occasion d’un déplacement électoral à Cayenne, la Guyane française.
Bruno Le Maire, nouveau ministre de l’Économie, chargé d’accueillir les invités du 9e Forum BID-OCDE a donc eu aussi la redoutable responsabilité de définir ce qui jusqu’ici ne l’avait pas été. Que va faire la France avec l’Amérique latine dans les prochaines années ? Bien que convenue, l’ouverture ministérielle s’est voulue empathique. Bruno Le Maire a informé les assistants au Forum que l’une de ses arrière-grand-mères était brésilienne. Il a insisté sur l’intérêt qu’il porterait aux lettres latino-américaines. Pablo Neruda et Gabriel García Márquez ont été nommément cités par le ministre pour conforter l’affirmation. Soit. Pour le reste la continuité aura été le fil conducteur du discours. La France partagerait avec l’Amérique latine, l’urgence environnementale, et donc la nécessité de poursuivre l’application de l’accord de Paris, en dépit du retrait des États-Unis. Et comme l’Amérique latine, elle aurait des points de vue parallèles sur la nécessité de combattre le terrorisme et les grands problèmes du monde. La France par ailleurs partagerait le diagnostic fait par beaucoup de Latino-Américains, qui pour aider à la reprise, précéderaient aux réformes qu’imposerait le monde actuel fait d’échanges et d’ouverture. À condition a-t-il conclu, que les conditions de concurrence internationale soient les mêmes pour tous. Pas question donc d’accepter, quelle que soit sa provenance, du bœuf aux hormones jugé impropre à la consommation en France et en Europe.
Paradoxe aussi pour les Amériques latines. Bien que la BID et l’OCDE soient dirigées par des Latino-Américains, un certain nombre de pays, la Bolivie, l’Équateur, le Nicaragua, le Venezuela n’ont pas fait le déplacement à Paris. D’autres au contraire ont non seulement été présents, mais ont annoncé une prochaine adhésion à l’OCDE. Chili, Mexique et Pérou en sont déjà membres. Colombie et Costa Rica sont en négociation. L’Argentine, et le Brésil ont signalé un dépôt de demande d’adhésion. Ces initiatives et ces absences semblent confirmer un clivage idéologique entre États libre-échangistes et États protectionnistes et nationalistes. Les choses ne sont pourtant jamais aussi contrastées. Cuba, l’Uruguay, mais aussi le Chili, qui revendiquent chacun à leur façon une pratique gouvernementale progressiste étaient représentés. D’autre part les intervenants institutionnels, de la BID, comme de l’OCDE ou de la CAF (Corporation andine de développement), ont tous souligné les défis posés au « continent » latino-américain, qui est le plus inégalitaire du monde et le moins intégré. Mieux ou pire la chute du prix des matières premières a privé les États de ressources leur permettant de perpétuer leurs politiques sociales. La pauvreté a élargi une assiette déjà considérée comme insupportable.
Les différents intervenants nationaux, les présidents du Pérou et du Guatemala, les ministres de l’Économie d’Argentine et du Brésil ont confirmé ce point de vue. Ajoutant que les réformes économiques et sociales en cours, dans leurs pays respectifs, étaient de nature à donner confiance aux investisseurs étrangers. Les déficits seraient ainsi réduits et les frontières rouvertes après des années de repli génératrices principales, selon eux, de la crise. Le paradoxe est ici encore au rendez-vous. Le déficit social, les inégalités croissantes peuvent-elles être combattues par le gel des retraites et des prestations sociales ? L’économie peut-elle repartir à la hausse en étouffant la consommation intérieure ? Ne va-t-on pas assister à une montée en puissance des mécontentements comme on le voit d’ailleurs de l’Argentine au Venezuela en passant par le Brésil ? Ce qui ne manquera pas de rendre circonspects les investisseurs éventuels, asiatiques ou européens.
Paradoxe final enfin, celui du voile pudique jeté au nom du réalisme économique sur les déboires démocratiques récents de l’Amérique latine : trois présidents ont été écartés en violation des règles de la démocratie au Honduras, au Paraguay et au Brésil. Tandis qu’au Venezuela les autorités s’apprêtent à suivre la même voie. La lutte contre la corruption a été abondamment citée tout au long des travaux du Forum de Paris. Mais il était paradoxal de voir à la tribune du Forum de Bercy le ministre de l’Économie d’un président brésilien, sous la pression de la justice pour faits de corruption, dont plusieurs collaborateurs et alliés politiques ont été incarcérés pour corruption, en revendiquer le bien-fondé.