18.11.2024
De Hollande à Macron, quelle politique pour la France en Asie ?
Presse
18 mai 2017
Édouard Philippe a une pratique concrète – au niveau local – de la Chine. En tant que maire du Havre, ville portuaire tournée vers l’Atlantique mais aussi, par extension, les autres océans, le nouveau chef du gouvernement a pu développer des relations de haut niveau avec la Chine. Le Havre a ainsi accueilli à cinq reprises la convention d’affaires China-Europa, devenue entre 2006 et 2014 l’un des rendez-vous prisés des entreprises chinoises en Europe. Le maire du Havre s’est de son côté rendu à plusieurs reprises en Chine, notamment pour rencontrer le Premier ministre Li Keqiang en novembre 2013 à l’occasion d’une réunion Chine-UE sur les questions urbaines, et pour co-présider l’édition chinoise de la convention China-Europe dans la ville de Shenyang en septembre 2014.
Le « couple exécutif » Macron-Philippe prend la suite de François Hollande dont on se souvient en 2012 qu’il avait – grâce à son conseiller diplomatique d’alors, le sinologue Paul Jean-Ortiz – finement orchestré sa politique asiatique. Nommé sherpa pour les questions internationales alors qu’il avait effectué presque toute sa carrière en Asie, « PJO » avait pour acolyte à l’Élysée un certain Emmanuel Macron, secrétaire général adjoint de la Présidence de la République en charge des questions économiques.
Parmi les réussites de Paul Jean-Ortiz, décédé en juillet 2014, la France était parvenue à établir des relations de confiance avec la plupart des pays asiatiques, et pas seulement la Chine (qui eut maille à partir avec Nicolas Sarkozy) et le Japon. Dès 2012, l’Asie du Sud-Est devient un objectif-clé pour l’Élysée. Sous le mandat de François Hollande, de nombreux pays d’Asie-Pacifique ont reçu une visite présidentielle : de l’Inde au Japon, en passant par la Corée du Sud, la Malaisie, les Philippines, le Laos, Singapour, la Chine, le Vietnam, l’Indonésie et l’Australie ; ce qui s’ajoute aux nombreuses visites du Premier ministre ou de ministres entre 2012 et 2017.
Le poids de la défense
L’industrie de la défense française entretient depuis longtemps des liens étroits avec la région. La Malaisie, l’Indonésie et Singapour sont notamment des clients de longue date de Thalès et DCNS. En 2016, l’Australie a passé une commande de 40 milliards de dollars pour des sous-marins construits par DCNS. Quant à l’Inde, elle a passé commande de 36 avions Rafale à Dassault Aviation pour 8,8 milliards de dollars, également l’an dernier.
Dans ce contexte, la nomination au Quai d’Orsay du très respecté ministre sortant de la Défense Jean-Yves Le Drian, longtemps maire de Lorient, autre ville portuaire connue pour son industrie militaire navale, est déjà remarquée en Asie. Car le patron de la région Bretagne est un ministre de la Défense intéressé par l’Asie : en juin 2016, lors du Shangri-La Dialogue à Singapour (réunion annuelle des spécialistes de défense en Asie), il avait surpris les participants en proposant la mise en place de patrouilles navales de l’Union européenne en mer de Chine. Les accords de défense avec l’Asie du Sud-Est ou avec l’Inde, c’est sous son mandat qu’ils ont été renforcés.
Au moment où Pékin multiplie les initiatives en Asie du Sud-Est, le discours de 2016 de l’ex-ministre de la Défense avait été compris comme une volonté française de peser sur le débat stratégique dans la région. La France, comme la plupart des Européens, s’était félicitée du jugement du Tribunal arbitral international de La Haye le 12 juillet 2016 concernant la mer de Chine du Sud – une décision qui dénonçait le renforcement de la présence chinoise sur plusieurs des îles contestées. « Si nous voulons réduire les risques de conflit, il convient de défendre le droit de la mer », ajoutait le ministre.
Stratégiquement, la marine française dispose d’une présence non négligeable dans le Pacifique : en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie et sur Wallis et Futuna (sans oublier l’Océan Indien). Détentrice du deuxième domaine maritime mondial, la France travaille également en étroite coopération avec les États-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande – autres puissances maritimes régionales – à travers le groupe de coordination quadripartite sur la sécurité maritime dans le Pacifique. La France est aussi l’un des soutiens de la politique de l’Union européenne en mer de Chine, portée par la Haute représentante Federica Mogherini. On peut compter sur la nouvelle ministre de la Défense Sylvie Goulard pour mettre en exergue la coopération européenne dans ce secteur-clé.
L’autre grand sujet asiatique qui attend le nouveau gouvernement français concerne la montée en puissance économique de la Chine. A l’image du sommet dit des « Nouvelles routes de la soie » (Belt and Road Initiative) qui vient de se tenir à Pékin en présence d’une trentaine de chefs d’État ou de gouvernement – mais pas la France, élections obligent -, la Chine ne cesse de pousser ses pions sur le plan économique en direction de l’Europe. C’est ainsi qu’en 2016, les investissements directs chinois ont atteint 35 milliards de dollars, soit une hausse de 77 % par rapport à l’année précédente. Plusieurs pays européens, dont la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Pologne et l’Italie avaient rejoint en tant que membres fondateurs la Banque Asiatique pour les Investissements dans les Infrastructures, lancée par Pékin en 2015. Des projets tels que la construction d’une ligne de train à grande vitesse Belgrade-Budapest confiée à un groupe chinois, ou la gestion du port du Pirée (Athènes) assurée par un autre groupe chinois, ne peuvent laisser indifférents.
Du coup, les propositions présidentielles d’Emmanuel Macron de renforcer la cohésion européenne face à la Chine, puissance commerciale et investisseur global, semblent raisonnables. Le nouveau président a perçu la Chine comme acteur économique majeur lors de son passage ministériel à Bercy entre 2014 et 2016, et a vécu de près la visite d’État du président chinois Xi Jinping (à l’occasion du cinquantième anniversaire des relations diplomatiques) en avril 2014. Le programme de Macron mentionnait explicitement la nécessité de collaborer avec Pékin (et avec New Delhi) sur les questions climatiques, dans le prolongement de l’accord de la COP21 à Paris. Concernant les investissements chinois, le nouveau président fait la part des choses : on ne peut pas demander que les Chinois nous achètent des Airbus et refuser qu’ils investissent dans l’aéroport de Toulouse, avait-il déclaré. L’ancien ministre de l’Économie a également visité l’Inde, le Japon et la Corée du Sud, autant de pays ayant tissé des relations étroites avec la France pendant la présidence Hollande.
On est loin des propositions protectionnistes de l’ex-candidate à la présidentielle Marine Le Pen, qui avait dénoncé lors d’une séance au Parlement européen « le quasi-libre échange avec la Chine provoquant la destruction des millions d’emplois européens et français, et leur remplacement par des employés chinois ». Cinq mois après le discours de Xi Jinping à Davos, dans lequel il se faisait le chantre de la mondialisation, la question chinoise ne risque pas de disparaître du débat politique. Dans le cadre de la campagne pour les élections législatives des 11 et 18 juin, il y a fort à parier que le débat sur la place réservée à l’Asie soit au minimum abordé par les candidats à la députation, ainsi que par les principaux ministres chargés des relations internationales, Jean-Yves Le Drian (Europe et Affaires étrangères) et Bruno Le Maire (Économie).