20.11.2024
La France : enjeu du second tour de la présidentielle
Presse
26 avril 2017
Deux visions de l’Union européenne qui s’affrontent
Jamais un second tour d’une élection présidentielle française ne fut à ce point articulé autour de la question européenne et de l’attachement de la France à l’UE. Si cette question fut assez présente dans les débats précédant le premier tour, elle est surtout déterminante chez les deux qualifiés, qui furent en dehors de quelques « petits » candidats ceux qui s’exprimèrent le plus directement sur l’UE, incarnant deux visions de l’Europe.
Emmanuel Macron était, des onze candidats en lice pour le premier tour, le plus ouvertement pro-européen. Il est d’ailleurs assez rare qu’un candidat disposant de solides chances d’emporter l’élection soit aussi clairement positionné sur ce sujet. Les candidats socialistes et républicains se montrent généralement plus discrets, soucieux de préserver une partie de leur électorat et de ne pas se priver de soutiens potentiels en vue du second tour. Seul peut-être Benoît Hamon s’est positionné comme pro-européen dans cette campagne, ce qui lui valut d’ailleurs de ne pas pouvoir concrétiser une alliance avec Jean-Luc Mélenchon, et de perdre de nombreux soutiens à gauche parmi les eurosceptiques, avec le résultat désastreux pour lui qu’on connait. Mais le mouvement En Marche ! s’est dès sa création placé et sans ambigüité comme ouvertement pro-européen, et désireux de renforcer les institutions européennes afin de dépasser la crise de confiance qui agite les Etats membres de l’UE depuis quelques années. Une posture qu’Emmanuel Macron a reprise au soir du 23 avril, en déclarant notamment que « le défi est d’ouvrir une nouvelle page de notre vie politique et d’agir pour que chacun, avec justice et efficacité, puisse trouver sa place en France et en Europe ». L’annonce de sa qualification pour le second tour fut ainsi accueillie avec un grand soulagement par les dirigeants européens, qui voient dans son élection probable le 7 mai une opportunité pour l’Europe.
Fidèle à une position que défendait déjà son père, certes avec moins de persuasion, Marine Le Pen va de son côté tenter de transformer le second tour de l’élection présidentielle en référendum sur la sortie de l’Union européenne. Tout au long de sa campagne, elle a fait des institutions européennes la cible de ses attaques, et promis de revoir en cas de victoire l’attachement de la France aux traités européens, aux accords de Schengen, et à l’Euro. Retour au Franc, rétablissement des frontières nationales et remise en cause de la plupart des engagements de la France au sein de l’UE sont ainsi au programme de sa politique européenne. Ce « frexit » qui fait explicitement référence au brexit – dont Marine Le Pen n’a cessé de louer les mérites – aurait cependant un impact beaucoup plus lourd que dans le cas de la sortie du Royaume-Uni des instances européennes. D’abord en termes de symboles, la France étant l’un des six membres fondateurs de la communauté européenne, dont nous venons de célébrer le soixantième anniversaire. Mais aussi de manière plus pratique, puisqu’il s’agirait d’une sortie de la zone Euro et de Schengen, contrairement au Royaume-Uni. Certains y voient le risque d’un éclatement de l’UE, et cette perception n’est sans doute pas exagérée.
Au-delà de programmes de politique intérieure très divergents, les électeurs auront donc à choisir le 7 mai entre deux politiques européennes radicalement opposées. Une France hors des instances européennes, et condamnée au même sort et aux mêmes incertitudes que le Royaume-Uni, ou un pays qui gagnerait considérablement en influence au sein d’une alliance réaffirmée et potentiellement relancée ?
La France dans le monde, le monde et la France
Marine Le Pen se présente aussi comme la candidate d’une altermondialisation, point sur lequel elle se distingue d’ailleurs de son père, avec un succès évident auprès d’un électorat autrefois acquis aux partis de gauche. Pour la candidate du FN, qui s’exprimait sur ce point au soir du 23 avril, « les Français doivent saisir cette opportunité unique, la mondialisation sauvage met en danger notre civilisation ». La question de l’ancrage de la France dans la mondialisation n’est ainsi pas uniquement perçue comme un choix économique et commercial, mais comme un enjeu civilisationnel. Cette différence entre les deux candidats sur le rapport à la mondialisation, condamnée par Le Pen, assumée par Macron, est abondamment commentée dans le monde.
Les Etats-Unis s’intéressent tout particulièrement à cette élection, et Donald Trump rencontrera son nouvel homologue français dès le 25 mai à l’occasion d’un sommet de l’OTAN à Bruxelles, qui sera par ailleurs sa première visite à l’étranger en tant que président des Etats-Unis. Les observateurs américains voient aussi dans cette confrontation la continuité des divisions relevées pendant le référendum sur le brexit, mais aussi et surtout la dernière campagne électorale américaine, qui porta Trump au pouvoir. Annonçant le résultat du premier tour, Ronald Bronstein, le commentateur de CNN fit cette remarque très instructive : « Dans un contexte américain, le second tour entre les deux finalistes sera fascinant, presque comme si vous aviez Gary Hart [candidat à l’élection américaine en 1988] ou Bill Bradley [candidat en 2000] contre Donald Trump – une coalition fiscalement conservatrice, socialement libérale, pro-mondialisation et fondamentalement urbaine, contre une coalition Le Pen plus col-bleu, plus âgée, non urbaine. En somme, la même division qui traverse tout le monde occidental, mais avec un choix encore plus net [qu’entre Trump et Clinton] ». Il s’agirait donc d’une lutte sur la mondialisation, mettant aux prises les bénéficiaires et les déçus, un combat ressemblant en effet aux enjeux du vote du brexit et de l’élection de Trump Dans ce contexte, le coup de fil de Barack Obama à Emmanuel Macron à quelques jours du premier tour, et les allusions tweetées de Donald Trump selon lesquelles Marine Le Pen serait la mieux parée pour défendre son pays face à des attaques extérieures ne doivent rien au hasard ou à une méconnaissance de la vie politique française, mais témoignent au contraire de l’immense intérêt que suscite cette campagne outre-Atlantique.
Côté russe, on relève également une différence très nette entre les deux candidats, mais en insistant sur les soutiens de Washington et ceux de Moscou. Le politologue Alexeï Moukhine explique ainsi que « Marine Le Pen a reçu un soutien évident de la Russie [elle fut reçue par Vladimir Poutine], un soutien purement symbolique, pas technique. En ce qui concerne Macron, c’est l’establishment américain qui le soutient, en partie démocrate ». Parmi les quatre principaux candidats, trois étaient supposément soutenus par Moscou (Le Pen, Mélenchon et Fillon), aussi le score d’Emmanuel Macron, décrit comme un mondialiste pro-américain, n’est pas perçu comme une bonne nouvelle pour les projets multipolaires du Kremlin. De fait, si Marine Le Pen se prononce pour une sortie de la France de l’OTAN, Emmanuel Macron ne s’est pas exprimé sur cette question, et il ne semble a priori pas faire de cela une priorité.
A contre-courant de Washington et Moscou, la Chine se montre de son côté depuis plusieurs mois inquiète du résultat de l’élection française, et en particulier d’une élection de Marine Le Pen qui aurait pour conséquence, selon les observateurs chinois, la dislocation de l’UE, véritable cauchemar pour Pékin qui table sur une Europe puissance pour faire avancer ses projets de monde multipolaire. La victoire éventuelle d’Emmanuel Macron y est ainsi perçue favorablement et est rassurante. D’autant que le candidat d’En marche ! est l’un des seuls à avoir manifesté de la curiosité pour l’initiative One Belt, One Road de la Chine, là où ses adversaires ne se sont jamais manifestés. De quoi intéresser les dirigeants chinois, qui ont fait du développement des infrastructures entre la Chine et l’Europe l’une de leurs priorités.
Favori pour remporter l’élection le 7 mai, Emmanuel Macron revendique implicitement un héritage gaullo-mitterrandien, et les attentes sont très importantes chez ceux qui voient dans son élection une opportunité de relancer la construction européenne, et de replacer la France, puissance nucléaire et membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU, dans le cercle des puissances influentes. Le contexte est favorable : brexit, perte d’influence des Etats-Unis confortée par l’élection de Trump, l’isolement de la Russie, les attentes de la Chine ou encore les espoirs des partenaires européens. Mais les défis n’en demeurent pas moins immenses, et si le futur président de la République entend marquer son mandat d’un renouveau de la politique étrangère de la France, après dix ans d’hésitations, il devra se mettre au travail sans tarder. A l’inverse, dans le cas d’une improbable mais pas impossible victoire de Marine Le Pen, l’image de la France dans le monde serait considérablement affectée, et son influence pourrait se réduire tout aussi considérablement.