04.11.2024
« Islamo-psychose » – 3 questions à Thomas Guénolé
Édito
12 avril 2017
Comment définissez-vous « l’islamopsychose » qui selon vous atteint la société française ?
J’appelle islamopsychose la représentation collective délirante, c’est-à-dire déconnectée de la réalité, que la société française se fait de sa minorité musulmane et de l’islam français. Ceux qui ont basculé dans cette islamopsychose estiment que les Français de confession musulmane ne peuvent ou ne veulent pas s’intégrer et que, parmi eux, le communautarisme est en train de devenir dominant. Or, selon des enquêtes scientifiques très récentes citées dans mon livre, les trois-quarts des Français de confession musulmane sont en réalité déjà totalement assimilés ou totalement intégrés.
L’islamopsychose, c’est également cette pétition de principe selon laquelle l’islam ne serait pas compatible avec la République et qu’il existe un continuum depuis le musulman modéré, très peu musulman, jusqu’au musulman radical, aspirant poseur de bombes. Cela revient à dire que plus on est musulman, plus on est terroriste.
L’islamopsychose, c’est enfin cette phrase devenue banale : « La communauté musulmane doit se désolidariser des attentats ». Rendez-vous compte ! Elle signifie au sens strict que tout Français de confession musulmane est présumé coupable de sympathie pour le terrorisme tant qu’il ne s’en désolidarise pas.
Les enquêtes d’opinion récentes indiquent que cette islamopsychose a atteint un niveau très inquiétant. Les Français estiment en moyenne à un tiers la population française musulmane : c’est cinq fois plus que la réalité. 1 Français sur 5 croit que la France est en guerre avec l’islam ; la même proportion juge que la grande majorité de ses compatriotes de confession musulmane ne sont pas intégrés, de leur propre faute. Les trois quarts des Français jugent que l’islam cherche à imposer son mode de fonctionnement aux autres. Plus de la moitié des Français déclarent qu’ils réagiraient mal au mariage de leur enfant avec une personne de confession musulmane. 2 Français de confession musulmane sur 5 ont déjà été injuriés ou ont subi des remarques blessantes du fait de leur religion quand 13% ont déjà été agressés physiquement du fait de leur religion.
De quelle manière la vision « déformée » de la laïcité joue-t-elle un rôle dans ce phénomène ?
La laïcité issue de la loi de 1905 est un principe de neutralité de la République en matière spirituelle. L’État ne reconnaît aucune religion. Il ne doit donc financer en aucune manière les cultes présents sur son territoire. Et il doit être lui-même totalement neutre sur ces questions. C’est pourquoi ses bâtiments n’affichent aucun symbole d’aucun culte. Pour la même raison, il est interdit à tout fonctionnaire de porter le moindre signe religieux ou d’exprimer la moindre opinion spirituelle dans l’exercice de ses fonctions. Cela suppose aussi que les exigences d’usagers exprimées pour des motifs religieux ne soient pas satisfaites.
En revanche, la laïcité de 1905 n’exige pas la neutralité spirituelle de la population elle-même. Elle ne demande pas à un prêtre qu’il retire sa soutane lorsqu’il va à la Poste, service public. Elle n’attend pas d’un usager de confession juive qui porterait la kippa qu’il l’ôte pour se rendre dans sa mairie. Elle n’oblige pas une mère de famille musulmane qui porterait un hijab à l’enlever pour assister à une réunion de parents d’élèves dans une école publique.
Or, nous assistons à la montée en puissance d’une « pseudo-laïcité » : la dénaturation graduelle de la laïcité, pour la transformer en machine à éradiquer le fait religieux musulman dans l’espace public. Le mécanisme est toujours le même. D’abord les « pseudo-laïcs » prétendent à tort que telle manifestation du fait religieux musulman dans tel type de lieu serait contraire à la laïcité. Puis une autorité judiciaire – généralement le Conseil d’État – répond solennellement que c’est faux. Les « pseudo-laïcs » réclament alors une loi pour interdire la chose … au nom de la laïcité et obtiennent, à chaque fois, gain de cause. Cela dénature un peu plus la laïcité, en conférant à ce principe républicain un sens qu’il n’a pas.
La meilleure preuve du fait que la « pseudo-laïcité » est une tartufferie, est que ceux qui prétendent la défendre ainsi ne militent jamais contre le Concordat d’Alsace-Moselle et les dispositifs similaires d’outre-mer. Or, ils font chaque jour échapper des millions de Français à l’application du principe de laïcité…
Comment limiter les effets négatifs de l’importation du conflit israélo-palestinien sur la société française ?
Les enquêtes d’opinion disponibles indiquent clairement ceci : les Français de confession juive et musulmane éprouvent mutuellement une hostilité supérieure à celle que la société française éprouve envers ces deux minorités religieuses. L’hypothèse que j’exprime dans un des chapitres de mon livre, c’est que cette hostilité mutuelle s’explique par la transposition du conflit israélo-palestinien dans les esprits, de part et d’autre. J’en déduis que pour faire chuter la tension entre Français de confession juive et musulmane, la France en tant que grande puissance devrait prendre l’initiative d’une position profondément équitable et constructive envers ce conflit.
Concrètement, la France pourrait reconnaître l’État palestinien, comme l’ont déjà fait d’autres grandes puissances telles que la Russie, l’Inde ou la Chine, car ne reconnaître que l’État d’Israël équivaut à appliquer le principe : « deux poids, deux mesures ». Et surtout, la France pourrait devenir la première grande puissance mondiale à mettre sur la table l’initiative de Genève. Il s’agit d’un plan de paix très détaillé, précis et concret, écrit par des représentants de la société civile israélienne et palestinienne, qui prévoit des deux côtés des gains très forts et des concessions très douloureuses, pour aboutir à une situation équitable à deux États indépendants et souverains. Logiquement, si la France devient la seule grande puissance au monde à défendre une issue équitable et juste à ce conflit, on devrait assister rapidement à une décrue des tensions entre la minorité juive et la minorité musulmane au sein de sa société.