ANALYSES

Pourquoi la rencontre entre le président chinois et Donald Trump est déjà cruciale

Presse
6 avril 2017
La rencontre entre les présidents Donald Trump et Xi Jinping, en fin de semaine à Mar-a-Lago (Floride) surviendra moins de trois mois après la prise de fonction du président des Etats-Unis. Bien après d’autres dirigeants (Abe, May, Merkel), mais très tôt dans le mandat du nouveau locataire de la Maison Blanche. C’est Pékin qui a insisté pour que cette rencontre ait lieu le plus tôt possible, avant d’autres échéances importantes pour la Chine, qu’il s’agisse du sommet autour du projet chinois « Belt and Road » en mai à Pékin; du G20 en Allemagne, ou du 19ème congrès du parti communiste chinois, tous les deux à l’automne. On se souvient de l’habile séquence chinoise au forum de Davos en janvier, trois jours avant l’inauguration du nouveau président américain. Pour Xi Jinping, nouveau grand défenseur de la mondialisation, il s’agissait de marquer son territoire et tenter de faire accepter par Washington que Pékin était devenu un acteur crédible de la scène internationale. Non seulement dans le domaine économique, mais aussi dans le domaine politique, ce qui est nouveau.

Quant à Donald Trump, c’est sa crédibilité vis à vis de son électorat qui est en jeu, après les accusations proférées pendant la campagne présidentielle contre une Chine « qui ne joue pas le jeu commercialement », « manipule sa monnaie » et « détruit les emplois américains ». Ce ne sera pas facile pour le président américain qui dispose d’une équipe diplomatique réduite: à ce jour, le département d’Etat ne dispose toujours pas d’un responsable des affaires asiatiques. A la Maison Blanche, c’est le gendre de Trump, Jared Kushner, qui mène les préparatifs de Mar-a-Lago côté américain. Côté chinois, une armée de diplomates est à la manœuvre.

Alors que quelques voix s’élèvent, dans la presse officielle chinoise, pour défendre un rapprochement sino-européen, la grande majorité des experts des deux pays s’accordent à penser que la relation sino-américaine sera primordiale et déterminante pour les années à venir. Que ce soit dans le domaine stratégique ou dans le domaine économique, Washington et Pékin doivent coexister – et si possible échanger positivement. Sur le plan stratégique pourtant, les experts les plus alarmistes parlent d’un choc prévisible » (Michael Pillsbury, auteur du livre The One Hundred Year Marathon*) ou de deux pays « destinés à la guerre », selon Graham Allison, professeur à Harvard et auteur d’une étude magistrale sur le « piège de Thucydide », selon lequel la Chine et les Etats-Unis s’avancent vers un affrontement frontal, à l’image du conflit –latent, puis réel- entre Sparte et Athènes, relaté par le célèbre historien grec. Lorsqu’un challenger cherche à supplanter la superpuissance dominante, cela mène droit au conflit, écrit Allison.

A Pékin, on s’efforce de ne pas en arriver là, même si l’enjeu est clairement celui de la domination de l’Asie. Alors que la stratégie nord-coréenne inquiète, et que la Chine poursuit ses opérations en mer de Chine, la présence militaire américaine demeure le seul rempart à l’OPA chinoise en Asie-Pacifique, et notamment en Asie du Sud-Est.

Après les années Obama durant lesquelles, le dialogue stratégique et économique (SED : strategic and economic dialogue) sino-américain étaient devenu un contrepoids au soi-disant « pivot » asiatique des Etats-Unis, l’ère Trump s’ouvre sur de nouveaux prémisses. D’abord, les nombreuses références anti-chinoises pendant la campagne présidentielle ont frappé les esprits aux Etats-Unis. Jamais un candidat n’avait été aussi explicite dans sa désignation du responsable des malheurs économiques de l’Amérique. Désormais en place, le président ne peut soudainement changer d’attitude sans avoir obtenu de contrepartie. C’est tout l’art de la négociation, mais Donald Trump a face à lui un numéro un chinois non seulement puissant et habile, mais aussi entré dans une année charnière qui est celle d’un très important renouvellement des élites de son parti en octobre prochain. Du coup, la question de Taiwan par exemple – dont Trump pensait pouvoir se servir dans la négociation- a déjà été tranchée lors d’une conversation téléphonique: Washington continuera à respecter la politique d’une Chine unique. Ensuite, la Corée du Nord: on voit mal comment Pékin pourrait sacrifier ce qui constitue l’une de ses cartes majeures, à savoir sa relation privilégiée avec le régime de Pyongyang. Il reste le domaine économique –que Trump veut désormais traiter séparément des sujets stratégiques: c’est là que la Chine pourrait faire quelques concessions, notamment en ouvrant davantage le marché chinois aux entreprises américaines, ce qu’elles demandent à cor et à cris. La Chine voulant poursuivre son expansion économique à travers la planète, il lui est dispensable d’apparaître business-friendly, avec un président issu du monde des affaires.

*The Hundred Year Marathon : China’s Secret Strategy to Replace America As the Global Superpower, Saint Martin’s Griffin, mars 2016
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