17.12.2024
Escalade militaire autour de Ia Corée du Nord : l’embrasement généralisé de l’Asie est-il en marche ?
Presse
19 mars 2017
Quand l’administration Obama a annoncé le « Pivot » vers l’Asie, certains en ont conclu que les Etats-Unis allaient renforcer de manière importante leur présence militaire dans la zone, en particulier chez les grands alliés que sont la Corée du Sud et le Japon.
En fait, le nombre de militaires américains présents en Corée du Sud, qui était de 28 500 depuis 2006[1] est resté stable, à l’unité près, jusqu’en 2014 où il n’a augmenté que de 800 hommes. De la même manière, l’annonce d’un désengagement par la nouvelle administration est à prendre avec précautions. Dans l’état actuel des choses, on constate surtout que les Etats-Unis ont franchi un pas important en déployant très récemment des systèmes anti-missiles THAAD, en Corée du Sud. Ce déploiement marque une rupture stratégique et capacitive, et provoque d’ailleurs de violentes réactions de la Chine populaire, autant contre les Etats-Unis que contre la Corée du Sud.
Sur un plan plus opérationnel, on peut difficilement envisager des opérations « d’invasion » qui conduiraient à une présence durable de troupes américaines sur le sol nord-coréen. Si une option militaire devait être exercée, elle serait le plus vraisemblablement dirigée contre ce qui est le plus visible, tant pour le monde extérieur que pour les sujets de Kim Jong-Un, c’est-à-dire les lancements de missiles. Ces lancements, du Scud modifié à des vecteurs de satellites, sont en effet largement médiatisés, tant dans le monde entier qu’à l’intérieur de la République ermite. Pour obtenir le meilleur effet possible, une attaque américaine devrait se traduire par la destruction, sur le pas de tir ou peu de temps après son décollage, d’une fusée nord-coréenne. Pour obtenir ce résultat, plusieurs modes d’action sont envisageables. L’intrusion de forces spéciales, dans un pays complètement quadrillé, paraît peu réaliste. Une attaque cybernétique pourrait réussir, mais la main des Etats-Unis ne serait pas visible, alors que c’est le but recherché. Les méthodes les plus vraisemblables sont l’attaque par un ou plusieurs missiles de croisière ou la destruction en vol par le système THAAD récemment déployé. La deuxième méthode aurait le double avantage de décrédibiliser la capacité de nuisance/dissuasion de Kim vis-à-vis de sa propre population et des pays voisins tout en légitimant le THAAD. On peut éventuellement envisager, mais ce serait beaucoup plus difficile à gérer à cause des peurs de pollution radioactive, une attaque ponctuelle d’un ou plusieurs sites nucléaires du même genre que la destruction d’Osiris par Israël.
La situation est toute différente pour la Corée du Sud. L’agglomération de Séoul, qui compte plus de 10 millions d’habitants, est à moins de 40 kilomètres de la frontière, c’est-à-dire à portée de l’artillerie et des roquettes dont le Nord dispose en quantité.
Et l’ensemble du territoire est aussi à portée des plus simples des dérivés de Scud, peu précis mais eux aussi disponibles en quantité. Si l’implication politique des Etats-Unis d’aujourd’hui et, dans une moindre mesure, de celle du Japon, est assez ferme, la Corée du Sud est probablement à un tournant. La destitution de la présidente Park a provoqué des élections anticipées qui auront lieu le 9 mai 2017. Une défaite du camp conservateur sortant, partisan d’une ligne dure avec le Nord, amènerait au pouvoir le Parti Démocrate et le retour à une politique plus proche de la « sunshine policy », qui vise à amener, sinon une réunification, du moins un apaisement des relations avec le Nord. Dans un tel contexte, la fermeté prônée par Washington perdrait une bonne part de son soutien local.
L’autre grand acteur de la région est, bien entendu, la Chine. Elle ne peut que s’opposer à toute manifestation de puissance des Etats-Unis dans la région, et n’a aucune raison de se départir de son discours pacifique. Toutefois, en cas d’opération militaire ponctuelle et limitée des Etats Unis, il est probable qu’elle se limiterait à une condamnation verbale et ne prendrait pas de mesures fortes. Quant à la Russie, elle ne verrait sans doute pas d’un mauvais œil une mise hors d’état de nuire des moyens balistiques et nucléaires de Pyong Yang.
Pour autant, le réchauffement des relations qui a été amorcé par l’administration Trump avec Moscou et Pékin n’inciterait-il pas la Russie et la Chine à une désolidarisation vis-à-vis de Pyongyang ?
Pendant longtemps, les relations entre la Russie ont été plus tournées vers la Corée du Sud que vers le Nord, parce qu’elles étaient surtout économiques. Les tensions entre Moscou et l’Occident, à cause de l’Ukraine et de la Crimée en particulier, ont poussé Poutine à faire évoluer ces relations. A partir de 2013, Moscou a participé à l’évolution d’infrastructures d’une zone économique mixte, construit ou réparé des lignes ferroviaires et effacé une bonne partie de la dette nord-coréenne. Plus marquant sur le plan politique, la Russie a invité Kim Jong-Un à participer aux cérémonies – snobées par les Occidentaux – du 70e anniversaire de la victoire. Toutefois, la Russie a voté les résolutions onusiennes imposant des sanctions à Pyongyang sans émettre de réserves importantes.
Le cas de la Chine est un peu différent. S’il existe un traité d’alliance formelle entre les deux pays, signé en 1961, il n’y a pas d’alliance militaire au sens propre du terme. Les relations entre les deux pays sont cependant fortes sur le plan économique, la Chine représentant 80% des échanges extérieurs de la RDPC et, surtout, lui fournissant l’essentiel de ses besoins en énergie et une large part de ses besoins alimentaires. Pékin accepte ces efforts pour maintenir la stabilité du régime de Pyongyang. En effet, son effondrement conduirait à l’arrivée de très nombreux réfugiés en Chine et, ce que Pékin craint encore davantage, une réunification de la péninsule amènerait aux frontières de l’Empire un allié des Etats-Unis. D’un autre côté, soutenir les outrances de Kim est contre-productif et cet allié devient bien encombrant. Beaucoup avaient affirmé que l’arrivée de Trump au pouvoir allait dégrader considérablement les relations entre les deux pays. La tournée du Secrétaire d’Etat Tillerson, précédant la prochaine visite de Xi Jinping auprès du président américain, semble plutôt démontrer que les relations vont devenir plus pragmatiques, basées sur des accords bilatéraux davantage que sur un ordre mondial. Dans ces conditions, un durcissement de Washington envers Pyongyang pourrait parfaitement être accepté par Pékin si les dirigeants chinois sont assurés de ne pas en subir de retombées.
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[1] Contre plus de 36.000 en 1994 et une moyenne de l’ordre de 40.000 entre 1971 et 1991