19.12.2024
L’Ukraine dans l’impasse : une crise qui s’enlise
Interview
10 mars 2017
Dans quel contexte et pour quels motifs le FMI verse-t-il cette somme à l’Ukraine ? Quelle est la situation économique générale du pays ?
En 2015, le Fonds monétaire international a adopté un programme d’aide à l’Ukraine d’un montant de 17,5 milliards de dollars. Il s’agissait, à l’époque, d’éviter la faillite à ce pays confronté à un choc majeur suite à la perte de la Crimée et au conflit dans le Donbass. Parmi les contreparties figuraient notamment la maîtrise du déficit public, des réformes dans le secteur énergétique ou bien encore la lutte contre la corruption. A ce jour, seuls 7,3 milliards de dollars ont été débloqués, le programme ayant été suspendu en 2016 faute d’avancées significatives côté ukrainien et en raison des incertitudes liées au départ de plusieurs ministres réformateurs.
Les perspectives économiques pour 2017 sont relativement bonnes : la Banque mondiale, par exemple, table sur une croissance de 2%. Mais cela ne saurait occulter la trajectoire – très inquiétante – de l’Ukraine sur le plus long terme. En 2014, elle était l’un des rares pays de l’ex-URSS à ne pas avoir retrouvé son niveau de 1991, date de la disparition de l’Union soviétique. Le PIB ukrainien a chuté de près de 17% en 2014 et 2015, à la suite de la perte de la Crimée et du conflit dans les régions de Donetsk et de Lougansk, qui assuraient jusqu’alors 25% de la production industrielle du pays. L’écart en termes de PIB/habitant avec la Russie et la Pologne est désormais supérieur à 1 pour 3. Le gâchis est donc immense pour l’Ukraine. Pour ne rien arranger, des éléments radicaux ont décidé d’instaurer un blocus total avec les territoires séparatistes du Donbass, ce qui pourrait coûter plusieurs milliards de dollars au pays, des dizaines de milliers d’emplois dans la métallurgie et compromettre sa reprise économique.
Où en est la situation du conflit avec les séparatistes pro-russes à l’Est du pays ? Comment évolue le regard porté par la communauté internationale sur le sujet ?
Le processus de Minsk est dans l’impasse depuis de longs mois. Les belligérants se renvoient la responsabilité des combats qui reprennent périodiquement et de l’échec du volet politique des accords conclus à la mi-février 2015, sous l’égide de la France et de l’Allemagne. Militairement, aucune des deux parties ne paraît en mesure de faire évoluer de façon significative le rapport de forces sur le terrain. L’armée ukrainienne a cependant cherché à grignoter des portions de territoires situés dans la « zone grise », ce qui a conduit aux récents affrontements à Avdiivka en janvier. Les séparatistes continuent, quant à eux, à être soutenus sur les plans financier et sécuritaire par la Russie.
Fondamentalement, nous assistons à un jeu à fronts renversés. Kiev, qui dit vouloir restaurer son intégrité territoriale, a de fait tiré un trait sur les territoires séparatistes et ses habitants ; le choix fait implicitement est celui de la « petite Ukraine ». Moscou, contrairement à une idée reçue, n’a pas intérêt au gel du conflit mais plutôt à une réintégration des territoires séparatistes dans l’ensemble ukrainien, ce qui lui redonnerait des leviers d’influence. Berlin et Paris sont de plus en plus exaspérés par l’absence de bonne volonté de part et d’autre et sont impuissants pour débloquer le processus. Les Occidentaux soutiennent désormais Kiev sans illusions, par inertie, et parce que tout autre choix reviendrait à s’interroger sur les décisions prises ces dernières années – en particulier en ce qui concerne le Partenariat oriental – et à conforter, de fait, Vladimir Poutine.
Pour quels chefs d’accusation Kiev attaque-t-elle Moscou devant la Cour internationale de justice ? Peut-on espérer que la CIJ mène à une résolution du conflit russo-ukrainien ?
L’action intentée par Kiev contre Moscou pour terrorisme devant la Cour internationale de justice ne représente que l’un des nombreux volets de la guerre judiciaire à laquelle se livrent l’Ukraine et la Russie. Les autres concernent notamment la Crimée, le sort du crédit de 3 milliards de dollars octroyé par le Kremlin à Kiev en décembre 2013 – juste avant le renversement de Viktor Ianoukovitch par les activistes de Maïdan -, et divers contentieux entre Gazprom et son homologue Naftogaz Ukraïny à propos des livraisons et du transit du gaz russe.
Pour les autorités ukrainiennes, il s’agit surtout, semblerait-il, de garder l’attention des médias et des responsables occidentaux, qui éprouvent progressivement une certaine « fatigue » du dossier ukrainien. Il est évidemment illusoire de considérer que le conflit dans le Donbass et, plus généralement les tensions russo-ukrainiennes, puissent être résolues par voie judiciaire.