20.11.2024
Après le salon à Paris, maintenir l’agriculture dans les débats politiques en France !
Interview
9 mars 2017
Pendant dix jours, les projecteurs et les décideurs se tournent vers ce secteur et ceux qui en sont les multiples acteurs. Il faut s’en réjouir mais aussi prendre votre question au sérieux ! Ensemble, l’agriculture et l’agroalimentaire représentent le premier secteur économique français. Ce sont près de 3,5 millions d’emplois directs et indirects, 3 à 4% du PIB et environ 60 milliards d’exportations chaque année. Il s’agit aussi, à travers ces secteurs, des questions de la vitalité des territoires ruraux ou péri-urbains, de l’entretien des paysages, de la recherche ou de la formation agronomiques. Et comme l’a bien montré le Salon de l’agriculture en 2017, le secteur innove sans cesse : le digital irrigue désormais les mondes agricoles et alimentaires ! Des start-up émergent et valorisent l’image d’une France en pointe en matière d’économie numérique. Ainsi, chaque agriculteur est un entrepreneur et chaque entreprise de ce secteur, à tous les maillons de chaîne alimentaire, représente un levier de croissance et d’emploi dans le pays. Et ces entreprises, quand elles construisent des partenariats gagnants-gagnants, peuvent aussi créer du développement à l’étranger et participer à la stabilité locale.
Alors certes, nous pouvons regretter que de tels regards attentifs sur les mondes agricoles, de la part des décideurs politiques et des médias, se portent uniquement durant cette courte semaine du salon. Toujours est-il que le Salon de l’agriculture de Paris représente aussi une opportunité en termes d’exposition qu’il convient de saisir, précisément parce que l’on a tendance à ne parler que trop rarement de l’agriculture en France, surtout en dehors des cercles initiés. Les agriculteurs et les différents opérateurs du secteur peuvent à cette occasion transmettre une série de messages essentiels à ceux qui visitent le salon, pour expliquer aux citoyens la réalité de métiers souvent méconnus, et pourtant passionnants, mais aussi aux responsables politiques ou économiques, afin de leur rappeler que l’investissement en agriculture est souvent porteur d’avenir.
Les perceptions doivent-elles évoluer ? Peut-on affirmer que l’agriculture contribue à la puissance de la France ?
Trop souvent, l’agriculture en France fait l’objet de propos excessifs ou d’analyses caricaturales. La société est majoritairement urbaine et l’économie s’est tertiarisée. C’est un fait. Mais dans les services proposés à l’être humain, fournir de l’alimentation reste incontournable. Il ne faut pas oublier que chaque individu doit se nourrir chaque jour pour disposer de l’énergie nécessaire au déploiement de ses activités. C’est vital. Nous avons occasionnellement besoin d’un médecin, d’un plombier ou d’un avocat. Mais nous dépendons quotidiennement des agricultrices et des agriculteurs pour l’alimentation que nous consommons plusieurs fois par jour. Je force le trait volontairement car cette évidence s’est tellement banalisée, dans nos sociétés développées, que les discussions sur l’agriculture se polarisent généralement sur des questions qualitatives ou écologiques, ô combien importantes, mais qui ne sauraient monopoliser à elles seules l’intégralité des débats. Sur un enjeu si décisif, il faut éviter l’exclusivité et favoriser l’inclusion. Sur l’agriculture, plusieurs analyses peuvent donc cohabiter et plusieurs solutions de développement doivent se combiner pour permettre de produire plus et mieux. D’autant plus que la France agricole est riche de sa diversité ! Elle est également bien dotée sur le plan géographique, dispose de ressources humaines formées et bénéficie du savoir-faire de nombreuses entreprises, qui lui permettent d’être l’un des principaux pays exportateurs de la planète. Le secteur, qui génère chaque année des excédents commerciaux, pèse pour 10% du total des exportations françaises. L’agriculture et l’agro-alimentaire créent de la valeur dans les territoires hexagonaux et ultramarins, tout en produisant des biens qui contribuent aux équilibres alimentaires mondiaux.
En cela, nos produits agricoles sont de parfaits ambassadeurs de la diplomatie économique de notre pays. Mais pour qu’ils le restent durablement, encore faut-il s’en donner les moyens et poursuivre une stratégie de long terme. Celle-ci doit être capable de répondre aux défis d’une mondialisation des systèmes alimentaires, très hétérogène finalement et pleine d’incertitudes, comme le révèle si bien une récente étude collective intitulée « MOND’Alim 2030 » et pilotée par le ministère français de l’Agriculture. C’est pourquoi il paraît indispensable de tenir compte des dynamiques géopolitiques quand on travaille dans l’agriculture et l’agro-alimentaire. Et cela ne fait donc que renforcer la très grande complexité de ces métiers, tournés vers l’homme et la nature au quotidien, scrutant aussi les horizons géoéconomiques et stratégiques plus lointains. Pour la France, l’existence d’une agriculture forte capable de nourrir la population depuis près de 50 ans, tout en s’adaptant à de nouvelles exigences de consommation, représente un atout non négligeable dans un monde où, sur le plan alimentaire, notre pays se situe dans la catégorie des nantis. Il ne faut pas mésestimer cet atout : la sécurité alimentaire et l’indépendance de notre pays, pour de nombreux produits de base comme les céréales ou le sucre, viennent enrichir la palette d’éléments stratégiques qui composent la puissance de la France.
C’est pour cette raison que les personnalités politiques viennent presque toutes à la porte de Versailles pour se rendre au Salon de l’agriculture ?
C’est une tradition de voir défiler au Salon de l’agriculture de Paris les responsables politiques au pouvoir, ou ceux qui ambitionnent de l’avoir. Et ce passage obligé, c’est-à-dire indispensable et pas obligatoire, témoigne d’ailleurs de l’importance de ce rendez-vous dans le calendrier annuel de nos décideurs. C’est pour beaucoup d’entre eux le jour de rapprochement avec un secteur agricole et des mondes ruraux qu’ils ne fréquentent pas forcément régulièrement. Cette année, à la veille des élections présidentielles et législatives, il n’est donc pas étonnant d’avoir vu la majorité des responsables politiques arpenter les allées du salon pendant plusieurs heures. A commencer le premier jour, comme par le passé, avec le président de la République. Ensuite sont venus les candidats à la future présidence du pays, dont les programmes sont pour le moins divergents, y compris en matière agricole. Ces visites politiques étaient d’autant plus attendues que la période en cours est caractérisée par de nombreux chocs qui se sont télescopés au cours des derniers mois : choc climatique, choc de prix mais aussi choc de confiance. Beaucoup d’acteurs du secteur attendent des pouvoirs publics une véritable vision pour l’agriculture, sachant que la compétitivité s’est érodée face à l’Allemagne et aux Pays-Bas, pour ne prendre ici que des pays à proximité. L’Etat français pousse très loin la mécanique réglementaire, mais semble de moins en moins stratège. L’alimentation a un prix, la résilience du secteur agricole mérite plus de considération et les initiatives économiques réclament davantage d’accompagnement.
En outre, beaucoup d’acteurs agricoles se préoccupent des futurs possibles de la politique agricole commune (PAC), au regard des inconnues qui pèsent sur l’Union européenne après 2020, mais aussi sur les moyens qui continueront à être dévolus à cette PAC, elle qui demeure toujours la seule véritable politique communautaire. A l’heure où l’Europe s’interroge sur son avenir, il conviendrait sans doute de ne pas dilapider ce qui aura été l’un des ciments de sa construction depuis le départ. A la veille du soixantième anniversaire des traités de Rome, c’est peut-être utile de le souligner, surtout en cette période de brouillard prolongé sur Bruxelles ! A ce titre, saluons le travail de la Commission européenne qui vient de publier un livre blanc sur l’Europe en 2025 avec cinq hypothèses de scénarios. L’un d’entre eux dessine un noyau dur d’États européens allant plus loin dans l’intégration économique et stratégique. Un autre esquisse une Europe qui cesserait de vouloir tout faire et qui se concentrerait à l’essentiel, c’est-à-dire sur ce qui fait sens et sur ce qui peut véritablement unir les pays afin de leur donner du poids dans la mondialisation. Deux scénarios qui me semblent questionner la place et le rôle de la PAC. Celle-ci, par ailleurs, gagnerait à préparer des complémentarités stratégiques avec une politique européenne de voisinage (PEV), qui doit elle-même prendre conscience des enjeux agricoles et alimentaires au sein de l’équation sociopolitique du bassin méditerranéen. Et si la PAC du futur, comme celle à l’origine en Europe, était présentée comme un instrument contribuant à la paix et à la stabilité de notre continent mais aussi de ces régions du Sud de la Méditerranée ?