12.12.2024
Lancement du projet européen WHISTLE : Favoriser la remontée d’information au sein du monde sportif
Interview
28 février 2017
L’objectif de ce programme est de favoriser la remontée d’informations au sein du milieu sportif. C’est la première fois qu’un tel projet est conduit au niveau européen, sachant qu’il s’adresse à l’ensemble du monde sportif, et qu’il concerne tout type de fraude (dopage, manipulation de rencontres, harcèlement, fraude institutionnelle, etc.). Deux orientations seront prises. Tout d’abord, il s’agit de sensibiliser les acteurs du sport, qu’ils soient athlètes, entraineurs, membres du staff ou salariés des différentes structures sportives, afin qu’ils utilisent les méthodes appropriées de remontée d’information lorsqu’ils sont témoins ou ont connaissance de fraudes. Ensuite, il faut également sensibiliser les institutions et organisations sportives, tels que les clubs et les fédérations, à mettre en place des procédures pour aider et protéger les potentiels lanceurs d’alerte et les accompagner dans la gestion de l’information. Ces deux dimensions se renforcent mutuellement, l’une n’allant pas sans l’autre. En effet, aujourd’hui, lorsqu’un sportif est témoin de fraude dans son secteur mais qu’aucune procédure officielle et sécurisée de remontée d’informations n’existe, il est souvent dangereux pour lui de lancer l’alerte. Comme on a pu le voir dans les grands scandales de ces dernières années, les personnes qui brisent « l’omerta » du sport font toujours face à des représailles et des sanctions, formelles ou informelles, suite aux divulgations. Elles sont souvent vues comme des personnes responsables du scandale, alors qu’elles permettent en réalité au milieu sportif de se confronter à ses problèmes.
L’objectif principal du programme européen WHISTLE, dont l’IRIS est partenaire, est donc de contribuer à changer cette mentalité. Cela consiste notamment à recueillir des retours d’expérience de certains pays et disciplines sportives qui, au sein de l’Union européenne, ont pu mettre en place des tentatives de procédure de lanceurs d’alerte. Il est notamment important d’analyser les conditions de succès ou d’échecs de ces initiatives, afin de comprendre dans quelle mesure elles peuvent être transposées dans d’autres contextes juridiques et culturels.
Les bonnes pratiques peuvent aussi être inspirées d’autres secteurs (économique, administratif, bancaire, financier) qui ont réussi ces 30 dernières années à mettre en place des procédures de remontée d’information. Cela étant, le secteur sportif est particulier, notamment car il est en grande partie associatif. Il y existe un certain « mur du silence » qui peut parfois devenir une véritable omerta et empêcher la divulgation de fraudes. Mais face à la multiplication des scandales ces dernières années (matchs truqués, dopage, corruption institutionnelle…), le monde du sport se retrouve dos au mur. Les procédures de lanceur d’alerte paraissent de plus en plus nécessaires.
Comment expliquez-vous cette absence de procédure de remontée d’informations dans le sport ?
Le monde du sport est un milieu assez fermé, conservateur et qui réagit souvent a posteriori aux affaires. Il a fallu atteindre un certain niveau de scandales pour que le monde du sport se décide à mettre en place des mesures contre le dopage et les matchs truqués. Il existe en réalité insuffisamment de stratégies d’anticipation et de gestion du risque d’intégrité au sein du sport. Les procédures de lanceur d’alerte font partie du risk-management, aux côtés d’autres mesures tout aussi importantes (sensibilisation, formation, développement de compétences, etc.). Mais il est auparavant nécessaire que les autorités du sport aient conscience de l’ampleur des risques et du besoin d’y répondre par anticipation, pas seulement en réaction aux scandales. C’est en anticipant les dérives que l’on parviendra en réalité à les éviter.
Cependant, les procédures de remontée d’information sont complexes à mettre en place, tant au niveau réglementaire que technique. Lorsqu’un athlète ou un salarié d’un club divulgue une information en interne, plusieurs questions se posent : que faire de cette information ? Faut-il contacter la police ou une autre institution pour réaliser l’enquête ? Comment échanger l’information sans remettre en cause la confidentialité de l’informateur ? Comment garantir la sécurité et la confidentialité d’une hotline téléphonique/mail ou d’une application mobile ? Comment garantir que cette révélation ne viendra pas interrompre prématurément la carrière d’un athlète ? Au sein d’une petite discipline sportive, par exemple, il n’existe pas toujours assez de salariés pour pouvoir mener ces procédures. Peut-être faudrait-il les mutualiser ? Mais comment mutualiser sans perdre la proximité avec les athlètes, qui reste un gage de bonne réussite pour tout système de remontée d’information ? Ces procédures présentent donc beaucoup d’exigences. Mais grâce aux autres secteurs, il est possible d’analyser quelles sont les difficultés rencontrées et quelles solutions permettent d’y répondre.
Comment convaincre les autorités sportives que c’est dans leur intérêt de favoriser la remontée d’information ?
Tout d’abord, il s’agit de montrer que les procédures de lanceur d’alerte n’ont pas pour but de créer des scandales. Avec l’aide d’autres instruments tels la prévention, les sanctions disciplinaires et les réformes institutionnelles, elles permettent, au contraire, de les éviter. Dans tous les grands scandales récents, les alertes sont venues de l’extérieur du monde sportif, par exemple avec les athlètes russes Stepanov qui ont contacté les médias pour révéler le dopage organisé en Russie ou la divulgation de liens entre des organisations criminelles et des clubs de football dans le cadre d’enquêtes policières sur des réseaux de crime organisé en Europe. Des procédures fiables et sécurisées de lanceur d’alerte internes au monde sportif auraient permis de contrôler les informations confidentielles afin de pouvoir les gérer en interne. Le monde du sport pourrait ainsi maîtriser l’information plutôt que la subir, mais aussi répondre aux enjeux d’intégrité sportive de manière proactive et en dialogue avec les acteurs du monde du sport. Ajoutons aussi que l’existence de procédures d’alertes est une première forme de dissuasion en direction des potentiels fraudeurs. Enfin, il existe de nombreux modèles de procédures de lanceur d’alerte adaptables au sport. Selon les typologies, les lanceurs d’alerte peuvent avoir accès à une personne interne, ou à un « défenseur des droits » plus ou moins indépendant des organisations. Il peut s’agir d’une application mobile disponible pour les joueurs et le staff afin de reporter des malversations. Des plateformes internet ou téléphoniques peuvent être mises en place. Il existe donc différentes façons de faire remonter l’information. Le projet WHISTLE entend ainsi fournir au monde du sport une boîte à outils intégrant différents types de procédures et de mécanismes pouvant être adaptés à chaque contexte et à chaque objectif, selon les besoins et les capacités de chaque organisation sportive.
Quelles sont les principales étapes du projet WHISTLE ?
Dans chaque pays représenté au sein du consortium WHISTLE, des groupes de travail vont être mis en place pour recueillir les retours d’expériences et les opinions des principaux représentants sportifs sur les alertes et leur gestion. En parallèle, et puisqu’aucun travail scientifique n’a déjà été réalisé sur la question, l’IRIS va être responsable de la préparation d’un rapport européen contenant des recommandations concrètes sur la mise en place de procédures de remontée d’information au sein du sport. Sur la base de ces résultats, le consortium va produire plusieurs outils de sensibilisation afin de contribuer à intégrer la remontée d’information dans la mentalité des acteurs du monde du sport et inclure la gestion de l’alerte dans le management des organisations sportives.
En savoir plus sur le projet WHISTLE : Pim Verschuuren – verschuuren@iris-france.org