12.11.2024
Europe de la défense : « Il faut que les États membres soient fortement impliqués »
Presse
2 février 2017
L’idée d’une Europe de la défense n’est pas neuve : elle a émergé avec le traité de Maastricht en 1992, en même temps que la question d’une politique étrangère commune. C’est en 1999, après le sommet franco-britannique de Saint-Malo qu’on a souhaité que l’Europe de la défense soit prise en charge par l’Union européenne. Mais depuis le traité de Lisbonne, les progrès en matière d’Europe de la défense sont faibles, il faut le reconnaître. En réalité, c’est le Brexit qui a relancé l’Europe de la défense. La France et l’Allemagne se demandaient comment faire pour éviter que l’Europe n’éclate et le thème de la défense et de la sécurité a été choisi (lire sur AEF). Il y avait déjà eu une première étape à l’Europe de la défense quand François Hollande a été élu en 2012, son ministre de la Défense Jean-Yves le Drian a décidé de relancer cette idée. Parmi les propositions qui ont émergé au sommet européen de décembre 2016, le fonds européen de la défense est une idée lancée par François Hollande et reprise par Jean-Claude Juncker (lire sur AEF). François Hollande et Jean-Yves Le Drian avaient pour idée de relancer l’Europe de la défense car certains problèmes ne peuvent plus être pris en compte au niveau national : ça concerne les questions de terrorisme et de migrations, et plus largement, les besoins en matière de capacités militaires. Il y a également l’attitude russe aux frontières est de l’Union qui pose problème, et, de manière générale, la montée des tensions. Enfin, les Américains demandent que les Européens fassent plus pour leur défense. Cela ne date pas de Donald Trump : Obama faisait déjà la même demande.
La Commission européenne a dévoilé, le 30 novembre 2016, un « plan d’action européen de la défense ». Que recouvre-t-il concrètement ?
Le plan de relance de l’Europe de la défense comprend notamment l’idée d’un fonds européen de défense, dont un volet recherche et un volet « capability window », c’est-à-dire un fonds commun pour les programmes d’armement, qui serait alimenté par les États membres. On peut considérer que sur le principe, le volet recherche est entériné, il faut maintenant l’appliquer. Pour les autres sujets, qui sont abordés dans les conclusions du sommet européen de décembre et qui sont liés à l’implémentation de la stratégie globale de l’Union européenne dans son volet défense, il y a encore du travail. Cela concerne la coopération structurée permanente prévue dans le traité de Lisbonne mais jamais mise en place, ou la coordination des planifications de défense des États membres. Ce sont des travaux qui vont se faire durant les six premiers mois de l’année 2017, avec une difficulté : il faut que les États membres soient fortement impliqués. Le risque, c’est que tout s’arrête avec l’élection présidentielle française en avril et les élections fédérales allemandes en septembre, or ce sont les deux pays qui poussent pour relancer cette Europe de la défense.
La France et l’Allemagne sont-ils les deux seuls pays engagés dans la construction d’une Europe de la défense ?
On a une très forte impulsion, non seulement de la France et de l’Allemagne, mais aussi de la Commission européenne. La nouveauté, c’est que ce n’est pas une impulsion avec une logique libérale mais avec une logique politique de souveraineté. D’où l’emploi par la Commission européenne des termes « autonomie stratégique », ce qui est tout à fait nouveau. Les initiatives politiques existent, mais il y a encore des détails à régler. Si, par le biais du fonds européen, on peut emprunter au niveau de l’Union européenne, cela conduit à mutualiser la dette. On sait que l’Allemagne est réticente à ce principe. Le débat sur la mise en pratique de ces propositions va également être impacté par les décisions que pourra prendre Donald Trump. Cela peut être un accélérateur comme un sujet de division entre Européens.
De nouveaux traités au sein de l’Union européenne seront-ils nécessaires ?
L’idée de départ est de ne rien créer et d’utiliser les traités existants pour éviter des divisions supplémentaires. Un nouveau traité serait un plan B, mais ce serait surtout un échec signifiant que l’on n’a pas pu avancer à 28. À ce moment-là, un certain nombre de pays pourraient décider d’avancer seuls en matière d’Europe de la défense. Mais cela se révélera peut-être inévitable.
Une mutualisation des équipements militaires est-elle possible ? N’y a-t-il pas un risque que certains pays de l’Union paient pour les autres ?
Il y aura toujours un niveau national et un niveau européen. Par exemple, la force nucléaire de dissuasion française, même si on considère qu’elle vient renforcer la sécurité de l’Europe, nous allons la conserver au niveau national. La mutualisation vient surtout du fait que les défis auxquels on doit faire face ne sont pas des défis qui s’arrêtent aux frontières. Pour ce qui est des budgets, il faut rapporter le budget de défense au PIB. Les petits ne sont pas nécessairement ceux qui font le moins : en Pologne, la part du PIB consacré à la défense est importante. L’Allemagne est un des seuls pays qui augmente sensiblement son budget de la défense, même si ce pays part de plus loin que les autres. Le déséquilibre est plus en termes de participation aux opérations extérieures que de budget. C’est à ce niveau que nous avons le sentiment de payer pour les autres.
Faut-il favoriser la coopération industrielle européenne pour construire l’Europe de la défense ?
C’est une des idées du volet « capacités » du fonds européen de défense. Il est prévu que les dépenses de ce fonds affectées à des programmes d’armement en coopération soient exonérées du pacte de stabilité afin d’inciter à la coopération européenne en matière d’armement. C’est un très bon incitatif pour mieux mutualiser nos dépenses et accroître les capacités militaires de l’Europe.
Que pensez-vous de la proposition de fonds européen de sécurité et de défense de l’ancien ministre de l’Économie Thierry Breton (lire sur AEF) ?
Le projet de la Commission pourrait représenter environ 10 milliards d’euros par an d’équipements mis en commun. Le projet de Thierry Breton concerne l’ensemble des budgets de défense des pays de l’Union européenne, soit environ 190 milliards d’euros. L’incitatif dans sa proposition est très politique et c’est une bonne chose. Mais cela risque d’être difficile, voire impossible à mettre en place. La proposition de la Commission européenne, même si elle est très en deçà, est un pas en avant, mais qui n’aurait sans doute pas vu le jour s’il n’y avait pas eu le projet de Thierry Breton. En ce sens, il faut saluer sa proposition.
Qu’est-ce qui pourrait stopper la création de cette Europe de la défense ?
Si les partis d’extrême droite arrivent au pouvoir, on va avoir beaucoup de mal à lancer le chantier. L’autre risque est que Donald Trump essaie de diviser les Européens. Il l’a déjà fait avec les Britanniques, il peut être tenté de diviser les Européens de l’Est et du Nord avec ceux du sud, notamment en forçant les pays de l’Est à abandonner l’Europe de la défense sous peine de ne plus être protégés face à la menace russe. Visiblement, l’ensemble européen est pour lui un danger car c’est un bloc économique qui peut contester la suprématie des États-Unis.
François Hollande a annoncé que les célébrations des 60 ans du traité fondateur de l’Union européenne à Rome en mars seraient l’occasion de faire avancer l’Europe de la défense. Que peut-on espérer ?
Je pense qu’on peut attendre une déclaration très forte des pays de l’Union européenne. Le fait de nommer, par exemple, tout ce que recouvre l’Europe de la défense sous le terme « Union de défense » permettrait de donner plus de visibilité à ce qui existe aujourd’hui. Cela serait un signal politique fort qui manque aujourd’hui.