20.12.2024
« L’intérêt du parlement britannique est de peser sur les conditions de sortie de l’UE »
Presse
24 janvier 2017
Du point de vue juridique, la décision de la cour suprême n’est pas inattendue. La cour suprême ne fait que confirmer la décision prise en novembre par la Haute Cour de Londres. En revanche, le climat politique, lui, s’est transformé. Nous étions alors dans un moment politique où on avait l’impression que le « hard Brexit » restait évitable, et qu’il subsistait une marge de manœuvre pour négocier un Brexit plus « doux ». Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Theresa May a compris en décembre que les Européens ne transigeraient pas sur les libertés fondamentales de l’UE. En retour, elle a clarifié son approche la semaine passée et opté pour une rupture nette, en arguant du soutien de l’opinion publique. On a aujourd’hui l’impression que le hard Brexit sera difficile à éviter.
Cela vous surprend-il compte tenu des résultats du référendum en faveur du Brexit ?
C’est la façon dont le débat a été posé qui est surprenante. Depuis le référendum, « la voix du peuple » semble être devenue un argument massue pour ne plus accepter le fonctionnement classique des institutions. Le Royaume-Uni est une vieille démocratie parlementaire, au sein de laquelle le législatif, le judiciaire et l’exécutif font leur travail en fonction de leurs prérogatives respectives. Par un processus juridique tout à fait ordinaire, la cour de Londres a décidé que le gouvernement n’avait pas l’autorité de déclencher l’article 50 sans l’aval du parlement. Mais on a l’impression aujourd’hui que la souveraineté populaire se définit exclusivement par la voix du peuple, qui peut tout emporter avec lui. Les journaux britanniques ont ainsi interprété cette décision comme si l’organe juridique du Royaume-Uni s’opposait à la voix du peuple, et on a vu en une des tabloïds les titres suivants : « les juges, ces ennemis du peuple. »
Compte tenu de son pouvoir, le parlement pourrait-il prendre le risque de bloquer le déclenchement de l’article 50 ?
Je ne pense pas que ce soit le problème principal aujourd’hui. L’enjeu majeur, c’est à mon avis le poids que pourra peser le parlement sur les termes de la sortie de l’Union européenne en 2019. À mon avis, il y aura un échange de bons procédés entre le Parlement et le gouvernement. D’un côté, Theresa May a besoin d’un processus rapide au Parlement pour pouvoir respecter son calendrier et activer l’article 50 d’ici à la fin mars, et pour que les négociations au parlement ne s’embourbent pas ; de l’autre, l’intérêt du parlement est de peser sur la négociation des conditions de sortie du Royaume-Uni de l’UE. Et donc, toujours pour le Parlement, d’être consulté sur un maximum de sujets lorsque l’accord de sortie aura été négocié avec l’UE, et ce à échéance 2019. Nous sommes dans une situation politique où il n’est pas dans l’intérêt d’un parti travailliste affaibli et divisé de s’opposer à la « volonté populaire » en bloquant l’activation de l’article 50. Le voudrait-il qu’il n’en aurait de surcroît pas les moyens.
Sur quel sujet, par exemple, le Parlement veut avoir son mot à dire ?
La question fondamentale sera le marché unique. Theresa May ne peut pas demander l’accès au marché unique – elle a compris qu’il était incompatible avec son souhait de contrôler les flux migratoires. Reste qu’une partie des travaillistes et des députés écossais souhaite cet accès. Theresa May a confirmé que le parlement serait consulté sur la sortie. Ainsi il est envisageable qu’il demande un droit de regard sur les conditions de l’accès au marché unique. Ce n’est pas le seul domaine, mais c’est le point le plus sensible.
D’un côté, si Theresa May souhaite comme elle l’a dit dans son discours, mardi 17 janvier, un hard Brexit, elle ne peut pas faire de compromis. Mais d’un autre côté, une partie du parlement, et notamment les Écossais, veut un accès au marché unique. Dans ce rapport de force, on verra qui prendra le dessus car en arrière-plan se joue la question écossaise. L’Écosse a voté à 62 % pour le maintien dans l’UE et elle souhaite avoir accès au marché unique, position incompatible avec celle de Theresa May.
Cela va donc entraver la marge de la première ministre britannique ?
Il est étonnant de voir le temps qu’il a fallu à Theresa May pour se rendre compte que l’UE ne transigerait pas sur ses libertés fondamentales, et qu’en réalité l’accès au marché unique n’était pas compatible avec le contrôle qu’elle souhaitait exercer sur les migrations. Elle s’est heurtée à l’unité des 27 autres pays membres, qui n’ont guère le choix aujourd’hui car l’avènement d’une Europe à la carte signerait l’arrêt de mort de l’UE. Elle pensait pouvoir négocier, enfoncer une brèche pour diviser l’Europe, mais s’est retrouvée isolée au conseil européen de décembre. C’est alors seulement qu’elle s’est résolue au « Hard Brexit ».
Recueilli par Agnès Rotivel