13.12.2024
« L’armée française risque d’être longtemps ‘coincée’ au Mali »
Presse
13 janvier 2017
Le Mali n’a toujours pas retrouvé la paix et l’accord d’Alger ne s’est pas vraiment concrétisé. La situation est préoccupante car l’insécurité est toujours présente dans le nord, en particulier autour de Kidal et de Gao, et se développe maintenant dans le centre très peuplé du pays dans les régions anciennement touristiques de Mopti – Ségou. Là, le problème relève moins des djihadistes que d’un effondrement de la présence de l’Etat et par là même de la loi et de l’ordre. Les villages et divers groupes ethniques s’organisent en milices d’auto-défense. Au Niger, à la frontière du Mali, le poste militaire de Tassalit a été pris d’assaut en octobre dernier et l’armée nigérienne a eu 22 tués.
Opération Serval, puis Barkhane, l’armée française joue-t-elle un rôle utile ?
L’opération Serval était indispensable et a été bien conduite. Elle a évité le kidnapping de 6.000 de nos compatriotes, si Bamako était tombé aux mains des djihadistes. Barkhane me parait aussi indispensable, le temps de permettre aux forces maliennes de s’organiser et de remettre sur pied l’appareil régalien malien et sahélien (police, justice, administration territoriale). Mais il y a des doutes sur la manière dont les autorités maliennes mettent à profit ce délai. Si la reconstruction de l’appareil d’Etat malien qui était, il faut le dire vermoulu et corrompu, traîne par manque de décisions politiques courageuses, l’armée française risque d’être longtemps coincée au Mali.
Quand l’armée française pourra-t-elle partir ?
L’armée française a été bien accueillie mais elle ne peut se permettre d’intervenir régulièrement dans les zones très peuplées du centre du pays sans risque de dommages collatéraux et de sérieuses difficultés. Elle peut vite être perçue par la population comme une armée d’occupation ou pire, comme le symbole du retour des colons. Plus tôt, nous pouvons être remplacés mieux cela vaudra. Mais pour l’heure, l’hétérogénéité des forces de maintien de la paix des Nations-Unies et le très faible niveau de motivation de ses soldats ne permet pas d’envisager la relève des forces françaises. La Minusma a eu plus d’une centaine de tués depuis son installation…
Par ailleurs, l’opération Barkhane couvre tout le nord du Sahel, un territoire qui représente plusieurs fois la France. On ne tient pas un tel espace avec 4000 soldats…Il va aussi falloir accompagner l’action militaire par des actions de développement. Enormément d’argent a été promis par les agences multilatérales, l’Union européenne et la Banque mondiale. Mais comme les priorités de ces institutions ne correspondent pas forcément aux besoins des populations rurales misérables, je crains une pagaille monstrueuse et une grande inefficacité. Par exemple sur les 3,4 milliards d’euros promis à la conférence de Paris de septembre 2015, seuls 3,7 % sont affectés au développement de l’agriculture et de l’élevage. Dans un pays à 75 % rural, on marche sur la tête.
Le gouvernement français promet de porter ses aides à 5 milliards par an en Afrique à partir de 2019. Qu’en pensez- vous ?
Ce genre d’annonce ne veut absolument rien dire pour le Sahel. On mélange ici des prêts destinés aux pays émergents ou à fort développement qui représentent effectivement des montants considérables avec les miettes de dons attribuées aux pays les plus pauvres. Sur un volume d’activité de 8,5 milliards d’euros, l’Agence française de développement (AFD) ne dispose que de 200 millions d’euros de dons pour les 16 pays les plus pauvres dont la demi- douzaine de pays sahéliens. Notre aide oublie tout simplement les pays les plus pauvres. Cette situation est unique au monde. Ce n’est pas la faute de l’AFD qui fait ce qu’elle peut avec les ressources qu’on lui octroie. Mais là aussi on marche sur la tête.
Faut-il inclure dans l’aide au développement l’équipement des armées africaines comme le plaide le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian ?
Le ministre le Drian soulève un problème qui lui a été posé il y a un mois au forum de Dakar sur la sécurité au Sahel. Les dépenses de sécurité dans les pays sahéliens dépassent 6 % du PIB (contre moins de 2 % pour nos pays riches.) Or ils doivent les financer sur leurs ressources propres car aucun donateur ne veut se mêler de ces questions. Résultat, ils doivent choisir entre leurs dépenses de santé, d’éducation et la paye de leurs militaires. Pour des pays très pauvres, c’est intenable. Déjà le Tchad a dû fermer des écoles pour payer ses soldats. C’est à ce type de choix que nous acculons ces pays en refusant pour des raisons « morales » de financer des équipements de sécurité. La communauté des donateurs va devoir accepter de financer ces dépenses. En prenant évidemment des précautions et en exigent la transparence, mais la sécurité au Sahel nous concerne directement et cela coûterait infiniment moins cher que d’y envoyer nos propres soldats ou même ces forces des Nations Unies chères (un milliard de dollars par an) et inefficaces.
Propos recueillis par Anne Bauer