18.12.2024
Et l’Iran et l’Arabie saoudite se trouvèrent un nouveau champ de bataille, l’économie
Presse
10 janvier 2017
Thierry Coville : Je ne pense pas que la confrontation entre ces deux pays soit dans l’ordre naturel des choses. Les relations entre les deux pays sont passées par des hauts et des bas depuis la révolution. Elles étaient exécrables après la révolution car l’Ayatollah Khomeini considérait que la famille Saoud n’avait pas la légitimité pour garder les lieux saints. Elles s’étaient améliorées au début des années 1990 sous l’action du président Hashemi Rafsandjani. Elles se sont dégradées de nouveau depuis la chute de Saddam Hussein en 2003.
Depuis l’arrivée d’un gouvernement chiite en Irak et l’accord sur le nucléaire, les autorités saoudiennes exagèrent à mon avis l’emprise iranienne sur la région. La situation s’est récemment tendue fin 2015 avec la rupture des relations diplomatiques enter les deux pays suite à l’exécution d’un dignitaire chiite saoudien et l’attaque en Iran de l’ambassade saoudienne par des manifestants (depuis condamnés). Je ne pense pas qu’il va y avoir une confrontation économique. Au contraire, le récent accord de l’OPEP pour limiter la production pétrolière démontre que les deux pays se sont entendus pour faire remonter le prix du pétrole.
L’économie iranienne a bénéficié d’une croissance de 5% l’année dernière et devrait atteindre le même taux en 2017. Cette croissance s’explique bien évidemment par la levée de sanctions internationales ou encore l’acceptation de capitaux et d’investissements étrangers. Cette croissance a été rendue possible depuis l’accession en 2013 de l’Ayatollah Khamenei et les signes d’une franche volonté de normalisation des relations avec la communauté internationale se multiplient comme le prouve la demande faite par Khamenei à l’ancien Ayatollah Ahmadinejad de ne pas se présenter aux législatives du printemps 2017. Est-ce que tout cela a des chances de se maintenir dans le temps ? Quelles seraient les principales menaces qui feraient que la tendance s’inverse ?
C’est la question que tout le monde se pose. La croissance est repartie en Iran depuis 2016 parce que la production pétrolière est revenue à son niveau d’avant les sanctions. Est-ce que cela va se maintenir. Plusieurs scénarios sont possibles. Si l’Iran arrive à attirer un montant important et régulier d’investissements étrangers (les flux d’IDE en Iran n’ont été que de 2 milliards en 2015) et des réformes de structure se mettent en place, l’économie iranienne pourrait connaître une croissance régulière de 8% et l’Iran pourrait devenir un nouveau marché émergent. Sinon, l’économie iranienne pourrait avoir une croissance plus volatile dépendante de l’évolution du prix du pétrole. Plusieurs facteurs comme la volonté d’ouvrir l’économie des autorités, la modernisation des mentalités en Iran, la taille du marché intérieur laissent penser que la croissance pourrait être soutenue en Iran dans les prochaines années.
En Arabie Saoudite au contraire, le pays a été secoué par l’effondrement des prix du pétrole. Pour contrer ce phénomène, le Prince bin Salman a annoncé un « carnet de route » ayant pour but de diversifier l’économie d’ici à 2030, notamment avec le développement des activités liées au divertissement. Est-ce que cette « occidentalisation » tardive a des chances d’être menée à terme lorsque l’on connaît le conservatisme du pays ?
Je pense que la diversification d’une économie pétrolière est une tâche très compliquée. Cela nécessite plus que des effets d’annonce soit faits. Il faut notamment développer un véritable système fiscal. Il faut développer les exportations non pétrolières. Il faut donc mettre en place un appareil productif compétitif. Il faut mettre en place les politiques industrielles adéquates et, ou développer un secteur privé compétitif. Ce sont des réformes de long terme qui nécessitent aussi une évolution politique puisque la diminution de la rente pétrolière change les équilibres politiques.
Autant dire que l’on ne voit pas trop ces réformes se mettre en place en Arabie Saoudite.
Enfin, même s’il est un peu trop tôt pour le dire, quel pays semble le plus à même d’établir une hégémonie sur la région ? Est-ce que seul le facteur économique est à prendre en compte lorsque l’on voit la dégradation des relations entre Chiites et Sunnites sur la scène internationale, notamment à travers le prisme des guerres en Irak et en Syrie ?
Il y a effectivement une rivalité – compétition entre l’Iran et l’Arabie Saoudite. Cette compétition est plus d’ordre géopolitique. Il ne faut pas surestimer le facteur religieux même s’il est évidemment présent quand les tensions entre les communautés chiites et sunnites sont leur paroxysme comme en Irak ou en Syrie. Dans tous les cas, si ces deux pays continuent à s’affronter par groupes interposés comme en Syrie, ils seront tous les deux perdants. Il faut espérer que l’Iran et l’Arabie Saoudite arrivent à trouver un terrain d’entente mais cela s’annonce difficile tant la méfiance est profonde des deux côtés. On voit cependant que la position de la Turquie est en train d’évoluer et est maintenant plus proche de la position iranienne sur la Syrie par exemple. C’est sans doute l’Europe qui devrait agir avec volontarisme pour calmer les tensions entre l’Iran et l’Arabie saoudite. Il ne faut sans doute pas trop compter sur la future administration américaine pour jouer ce rôle …
Quelles conséquences attendre à court ou moyen terme d’un gain de puissance économique de ces pays dans la région. Quelles seraient les conséquences de l’établissement d’un soft power sur la région et au niveau international pour chacun de ces pays ?
Je pense justement que si les pays de la région arrivent à faire reculer les tensions géopolitiques dans la région, on pourrait avoir un rapport de forces plus normal qui apparaîtrait. Dans cette optique, l’Iran et l’Arabie saoudite seraient évidemment dans un rapport plus sain de rivalité économique ou en termes de soft power. En outre, si les tensions politiques retombaient, on pourrait avoir progressivement plus d’échanges économiques entre l’Iran et l’Arabie Saoudite. Sans tomber dans un optimisme béat, on peu penser que cela conduirait à des échanges gagnant-gagnant entre les deux pays. Les entrepreneurs iraniens cherchent des marchés à l’export et les marchés du Golfe Persique sont des marchés « naturels » pour l’Iran. Et si un véritable marché régional se mettait en place, cela ne pourrait que faciliter la diminution de la dépendance pétrolière de l’Arabie Saoudite.
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