18.11.2024
Birmanie : pourquoi tant de haine vis-à-vis des Rohingyas ?
Interview
9 janvier 2017
L’offensive entamée, début octobre, par l’armée birmane répond à une attaque inédite sur les forces de police. Les assaillants, qui appartiennent à la communauté Rohingya, ont en effet pris d’assaut des postes à la frontière avec le Bangladesh. Une dizaine de policiers ont trouvé la mort durant l’attaque. En ce début d’année 2017, les clearance operations menées par l’armée se poursuivent. La fière et puissante institution militaire – la tatmadaw – opère dans ces régions sensibles (d’un point de vue ethnico-religieux) en dehors de tout contrôle du gouvernement civil, bouclant l’accès au théâtre de crise, refusant tout regard ou témoignage extérieur. Ce huis clos est à l’origine, dans une grande mesure, des inquiétudes de la communauté internationale quant aux conséquences de ces opérations contre-insurrectionnelles sur la communauté Rohingya.
Quelles sont les origines de ce rejet de la minorité rohingya ? Quels facteurs expliquent les meurtres et exactions de masses perpétrées par les Arakanais bouddhistes et l’armée birmane ?
En Birmanie, nos lecteurs seraient bien surpris de voir combien une majorité d’interlocuteurs locaux – à plus forte raison ceux appartenant au groupe ethnique majoritaire bamar (68% de la population totale) – n’ont que faire et mépris pour la communauté rohingya et son sort ténu du moment.
Officiellement, le panorama ethnique national recense 135 groupes ethniques différents parmi lesquels, pour les plus connus, les Shans (9%), les Karens (7%), les Arakanais (4%), les Mons (2%). Ne cherchez pas dans ce vaste spectre ethnique trace des Rohingyas : ces derniers – nommés du reste généralement ‘’Bengalis’’ – figurent dans la catégorie des populations apatrides…
Musulmans originaires du sous-continent indien, installés – avant, pendant ou après la période coloniale britannique – dans l’Etat occidental de l’Arakan, frontalier du Bangladesh, les Rohingyas sont perçus en ces terres de bouddhisme, à l’occasion exalté par une matrice nationaliste vivace, comme des non-Birmans, des éléments hexogènes indésirables ne partageant ni foi, culture, histoire et patrimoine linguistique.
De nombreuses voix dénoncent le silence de la démocrate Aung San Suu Kyi, conseillère d’Etat et prix Nobel de la paix. Comment expliquer son inaction ?
Six ans après l’autodissolution de la junte militaire – le terme de « mue politique encadrée et cadencée » serait plus juste…-, l’opinion publique, birmane ou étrangère, peine à considérer La Dame de Rangoun dans son rôle contemporain, celui d’une responsable politique nationale de premier plan, conseillère d’Etat et ministre des Affaires étrangères depuis avril dernier. Les Birmans et la communauté internationale ont pourtant adulé et soutenu Aung San Suu Kyi, du temps où elle incarnait l’image paisible d’une résistance pacifique face aux généraux. Du temps où, muselée et assignée à résidence (pendant plus de quinze ans entre 1989 et 2010), elle incarnait plus que jamais la cause démocratique. Entre 2012 et 2016, Aung San Suu Kyi est élue députée. Le 8 novembre 2015, son parti politique, la ligue nationale pour la démocratie (LND), remporte haut la main le scrutin législatif national. Après une maturation de six mois, tout en étant elle-même empêchée par la Constitution d’assumer les fonctions de chef de l’Etat, son parti a investi en avril 2016 la première administration civile birmane depuis les années soixante…
Neuf mois après cet événement historique, dans un cadre politique où le poids et l’autorité de l’armée demeurent considérables et limitent d’autant les marges de manœuvre d’Aung San Suu Kyi et de son gouvernement (sans expérience), l’exercice du pouvoir s’avère délicat, complexe et difficile. La Birmanie reste un pays en développement, malmené par des hostilités en divers points du territoire (Etats Shan et Kachin) entre l’armée régulière et certains groupes ethniques armés.
La Birmanie, pays aux nombreuses ethnies, est en guerre civile depuis soixante-dix ans avec des groupes ethniques rebelles. Des négociations de paix ont été entamées avec une quinzaine d’entre eux. Où en sont les négociations ? Où se situent les principales zones de combats ?
Entamé voilà six ans par l’administration Thein Sein (2011-2016), l’âpre chemin vers la paix nationale – un objectif improbable depuis un long et pénible demi-siècle – n’est pas encore à l’avant-veille de son chapitre final. Sur la vingtaine de groupes ethniques armés actifs, seuls huit – et pas forcément parmi les plus importants – ont paraphé, en octobre 2015, un accord national de cessez-le-feu (ANC), ce, conformément au souhait pressant d’une administration post-junte (mais alors encore composée à quasi 100% d’anciens officiers supérieurs…) approchant du terme de son mandat.
Depuis lors, un gouvernement LND s’évertue, sous la houlette omniprésente d’Aung San Suu Kyi, de poursuivre cette entreprise complexe, organisant notamment le 31 août dernier une Union Peace Conference (Panglong 2.0) censée imprimer un élan décisif en direction du Dialogue Politique – l’étape 2 des négociations de paix – et convaincre les groupes ethniques armés encore sceptiques et réservés sur les bénéfices immédiats de parapher l’ANC.
Lors du semestre écoulé, la Birmanie a pourtant connu dans le Nord du pays (Etat Kachin), le Nord-Est (Etat Shan), dans l’Etat Kayin ou encore en Arakan, une nette intensification des hostilités en région ethnique. La tatmadaw fait montre d’une troublante détermination à s’employer sur le terrain des hostilités, bien davantage qu’autour de la table des négociations où elle multiplie à l’endroit des responsables ethniques, les outrages et les prérequis rédhibitoires (cf. dépôt des armes et démobilisation pour certaines guérillas ethniques avant de rejoindre le processus de paix).
Priorité nationale du gouvernement LND depuis son entrée en fonction au printemps dernier, les efforts en direction de la paix nationale n’ont pas fini d’éprouver Aung San Suu Kyi et de décevoir, du fait du positionnement très équivoque de l’armée, la population ethnique (1/3 de la population totale birmane) et les observateurs étrangers.