18.11.2024
Levez les yeux, les Chinois seront bientôt au-dessus de nous : Pékin annonce ses objectifs ambitieux de conquête spatiale
Presse
28 décembre 2016
« La Chine veut la Lune ».
Tel était le titre du livre[1] écrit en 2007 par Philippe Coué, spécialiste français des programmes spatiaux chinois. Il annonçait l’exploration de notre satellite par « des explorateurs automatiques » qui prépareraient « l’arrivée des taïkonautes sur la Lune dans les années 2020 ». Presque 10 ans plus tard, un premier robot chinois s’est déjà posé sur la Lune (en 2013) et les ambitions chinoises restent les mêmes.
Dans le domaine spatial ce plan de 5 ans est l’un des volets du très vaste XIIIème plan quinquennal (2016-2020), dans une société et une économie qui demeurent rythmées par ce système de planification hérité de l’Union soviétique et jamais abandonné. La volonté de progresser de manière continue et cohérente est manifeste, pour devenir une grande puissance spatiale et, surtout, pour développer et mettre au point des technologies capables de se comparer à ce qui se fait de mieux dans le monde. Le tir réussi d’un nouveau lanceur, une Longue Marche 7, en juin 2016, inaugure ce nouveau plan de manière assez frappante. En effet, la LM 7 est la première d’une nouvelle génération de lanceurs qui permettra de remplacer ceux de la génération précédente, aujourd’hui très dépassés et qui utilisent des ergols particulièrement polluants. Les grands objectifs de la politique de Pékin sont annoncés depuis quelques années déjà par l’agence spatiale chinoise : amélioration de la compétitivité dans le domaine scientifique, mise en œuvre d’une station orbitale, envoi d’hommes sur la Lune, puis établissement d’une base lunaire habitée et enfin, envoi d’une mission habitée vers la planète Mars. Le plan quinquennal actuel est axé sur les deux premiers de ces objectifs. Il est certain que les moyens actuellement alloués demeurent insuffisants, d’autant plus que les coopérations avec les Etats-Unis et la Russie demeurent très limitées et que les développements entièrement indépendants coûtent cher. Le budget de l’ensemble du secteur spatial en Chine est très difficile à évaluer, tant est grande l’imbrication entre différents secteurs et complexe l’organisation. Il était estimé par l’OCDE à 7 milliards de dollars par an en 2014, loin derrière les Etats-Unis (40 milliards) mais devant la Russie (4 milliards). L’appel de quelques scientifiques pour une nette augmentation du budget de l’Agence, qui finance en grande partie le domaine purement scientifique, est cohérent avec les buts recherchés, mais il n’est pas certain que les priorités dans d’autres domaines permettent un tel accroissement. On peut cependant être certain que les efforts nécessaires seront faits, en particulier pour la mise en fonction d’une station spatiale habitée dans les cinq ans à venir. A ceci s’ajoutent le développement de la nouvelle famille de lanceurs, la complétion du système de positionnement national Beidou, une ou deux missions de retour d’échantillons du sol lunaire. Et, bien entendu, les lancements de satellites militaires (reconnaissance et communications, mais peut être aussi instruments de guerre dans l’espace) seront en augmentation.
Il est aujourd’hui courant d’entendre que la Chine a rattrapé son retard dans le domaine spatial vis-à-vis des Etats-Unis et de la Russie. Le premier satellite chinois a été lancé une douzaine d’années après Spoutnik et Explorer. Mais le premier vol d’un être humain chinois n’a eu lieu que 42 ans après les vols russes et américains. Ce retard d’un peu plus de 42 ans se retrouve pour toutes les grandes étapes : premier arrimage dans l’espace, premier robot sur la Lune, première « brique » d’une station spatiale. Ces différences demeurent importantes, mais elles ont vocation à se combler, surtout parce que les pays en pointe ont simplement arrêté de courir.
Pourquoi la Chine, qui est déjà la première puissance économique mondiale cherche-t-elle à devenir un acteur majeur du domaine spatial ?
La Chine n’est la première puissance économique mondiale qu’en parité de pouvoir d’achat, ce qui n’est sans doute pas un critère dans le domaine spatial. Les raisons qui la poussent à vouloir en devenir un acteur majeur sont multiples. Il y a bien entendu le prestige que confère une telle capacité et l’impact positif que cela peut avoir sur le plan géostratégique. Mais il faut d’abord penser aux avancées technologiques nécessaires au spatial et aux retombées qu’elles ont dans tous les domaines. Elles sont cruciales pour un pays qui est l’objet de sérieuses restrictions de coopération de la part de la plus grande partie des pays plus évolués.
Les embargos décidés par les Occidentaux après les événements de juin 1989 ont théoriquement bloqué, à l’exception de quelques contournements, toutes les ventes et tous les transferts de technologies à usage militaire. En dehors de ce seul domaine, les pays détenteurs des savoir-faire les plus évoluées sont très réticents à les vendre ou les transférer à une Chine qui a démontré qu’elle n’hésitait jamais, quand elle le pouvait, à les contrefaire ou à en utiliser les éventuelles capacités duales, entre autres au profit de programmes d’armement. Elle doit donc accomplir, par elle-même ou en utilisant des moyens détournés, toutes les avancées technologiques nécessaires. C’est particulièrement vrai dans le domaine du spatial militaire, où on la voit afficher une volonté de se hisser au meilleur niveau. Pékin a démontré sa volonté de s’impliquer dans la guerre dans l’espace en abattant l’un de ses propres satellites à l’aide d’un missile. La Chine est aussi le seul pays à avoir en développement un système de missiles balistiques antinavires. Ces derniers sont clairement conçus dans le seul but de détruire les porte-avions américains (qui, pour des raisons techniques, ne peuvent être « visés » que par des satellites). Il y a eu enfin le développement, en partie grâce à l’aide des Européens, d’un programme national de géopositionnement, Beidou, concurrent des systèmes GPS, Glonass et Galileo.
La Chine, a aussi espéré, avant même le début des années 1990, devenir un fournisseur de lancements commerciaux, en proposant des mises sur orbite à des prix nettement inférieurs à ceux de la concurrence. Les échecs qui ont marqué les premières années ont rendu très prudents les éventuels clients. Jusqu’en 2010, le nombre de lancements très variable d’une année sur l’autre a pu aussi être perçu comme un manque de cohérence et de maturité. La fiabilité s’est largement améliorée dans les dernières années, mais la Chine n’est toujours pas un acteur majeur dans ce segment. De plus, le ralentissement du marché et l’apparition de nouveaux acteurs tant privés qu’étatiques rend la concurrence plus difficile.
Quels objectifs peuvent atteindre les Chinois sachant qu’ils ont déjà réussi à explorer l’espace et aller sur la Lune ?
Le simple fait d’être capable de réaliser, en complète autonomie, des lancements de satellites de tous types, militaires ou civils, habités ou non, et d’avoir commencé à entreprendre la construction d’une station orbitale fait de la Chine une grande puissance spatiale. Par contre, les deux Grands ont commencé plus tôt qu’elle et d’une manière nettement plus cohérente, dans une ambiance de compétition pure. Celle-ci semble actuellement terminée, mais un certain nombre d’étapes majeures ont déjà été franchies et les outils mis en place dans les années 1960 demeurent solides. Les prochaines « premières » que l’on peut envisager sont l’établissement d’une base permanente sur la Lune et l’envoi d’hommes vers Mars. Ces deux projets font partie des objectifs à long terme de la Chine. Elle les a clairement annoncés et les prépare, mais les délais sont importants et il faudrait que les concurrents, qui gardent de l’avance, ne se relancent pas dans la course pour qu’elle puisse réussir enfin une grande première.
[1] La Chine veut la Lune, Philippe Coué, A2C Medias, 2007