ANALYSES

L’Amérique latine restera en 2016 le territoire le plus violent du monde

Presse
30 décembre 2016
On meurt beaucoup par homicide en Amérique latine. Des morts en désordre numérique et géographique. Des morts sans raison, religieuse, politique ou idéologique. Des morts difficiles à mettre en spectacle médiatique. Des morts donc privées d’antenne, et d’images, en Europe et en Amérique du nord. Mais en fin d’année, la lecture des bilans récapitulant les crimes commis, du Mexique, au Paraguay, en passant par le Honduras, la Colombie et le Venezuela, bouscule les hiérarchies mondiales de la violence.

Les questions posées par cette réalité sont de deux ordres. Les premières concernent le phénomène. Pourquoi autant de morts violentes en Amérique latine? Les secondes portent sur l’information qui en est donnée. Comment comprendre le silence des grands medias occidentaux?

Combien sont-ils à mourir de façon violente? Les chiffres des Nations unies, des services officiels des différents pays, et de diverses ONG de défense des droits humains, révèlent une vérité déstabilisante, celle de territoires sans conflit, et où pourtant on meurt tout autant et parfois davantage qu’en Syrie. Dans la liste des 50 villes les plus criminogènes du monde, publiée annuellement par l’association mexicaine, « Conseil citoyen pour la sécurité publique et la justice pénale », 42 sont situées en Amérique latine. 21 de ces ville sont brésiliennes. Les trois premières de cette liste sont dans l’ordre Caracas au Venezuela, San Pedro Sula au Honduras et San Salvador. Le taux d’homicides est dans ces trois cités, respectivement, de 120; 112 et 108 pour 100.000 habitants. Alors que les taux européens tiennent dans une fourchette de 1 à 3 pour 100.000 et ceux des Etats-Unis, entre 4 à 6 pour 100.000 habitants. Les onze premiers mois de 2016 20 800 personnes ont perdu la vie de façon violente au Mexique, selon le SNSP, le Système national de Sécurité Publique. Au Brésil, en 2015, ce sont 58.400 personnes qui sont décédées de façon violente. Le quotidien brésilien « Folha de São Paulo » qui en a publié la statistique dans son édition du 28 octobre 2016 a fait un comparatif des « morts par violences intentionnelles », de 2011 à 2015, en Syrie et au Brésil. Pour la période considérée, le nombre de victimes enregistrées serait de 256 000 en Syrie; et de 279.000 au Brésil.

Et pourquoi meurent-ils? Les motivations de ces crimes sont multiples. Elles ont parfois, comme en Colombie, au Paraguay et au Pérou une origine politique. Des groupes de guérillas subsistent avec une intensité diverse dans ces pays. ELN (Armée de libération nationale) et FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie) en Colombie, EPP (Armée du peuple Paraguayen) au Paraguay, et Sentier Lumineux au Pérou. Cette violence-bénéficie d’une attention journalistique minimale. Elle est pourtant marginale. Les FARC ont signé un accord de paix avec les autorités colombiennes en 2016. L’ELN a ouvert des négociations. L’EPP paraguayenne est une petite organisation armée, présente sur les périphéries du pays. Sentier lumineux survit difficilement au sud du Pérou dans une région d’un peu plus de mille kilomètres carrés, le VRAE (Vallée des fleuves Apurimac, et Ene). Le gros des meurtres a une autre raison, liée à l’appât d’un gain illicite. Soit il est d’initiative purement individuelle, et le fait de petites bandes se livrant au vol à la tire, dans la rue et les transports en commun. Soit il est la conséquence d’actions organisées par des groupes de taille importante. Qui sont spécialisées, dans le trafic de stupéfiants, dans celui de personnes en situation irrégulière, dans les enlèvements contre rançon. Ces groupes peuvent à l’occasion entrer en conflit territoriaux les uns avec les autres. Les taux de morts violentes les plus importants ont concerné ces dernières années les pays où se sont constituées des bandes armées délinquantes. Brésil, Colombie, Guatemala, Honduras, Mexique, Salvador, sont tout à la fois les plus touchés par le crime et ceux où sévissent des réseaux organisés: les différentes maras, rivales entre elles d’Amérique centrale, les cartels de la drogue mexicains, et les mafias des grandes villes brésiliennes. Dans ces pays des policiers sont partie prenante de cette dérive criminelle. Au Brésil la statistique officielle signale qu’en 2015, 3345 personnes ont été tuées par des policiers.

Comment comprendre le silence des grands médias internationaux? Peut-être parce que qu’il s’agit d’une guerre sans nom, sans adversaires identifiés, aux victimes nombreuses, mais éparses dans le temps et dans l’espace. Peut-être parce qu’il s’agit de guerres sociales. Qui perpétuent la violence de colonisateurs conquérants. Dont la culture est assumée depuis les indépendances par leurs héritiers créoles détenteurs du pouvoir et des richesses. L’insécurité paradoxalement est montrée du doigt dans tous les pays. Elle cible en France une ville, Marseille, présentée comme une « Chicago » des temps contemporains. La référence à « Chicago », ou parfois au « Bronx », relève d’un fantasme celui du caractère criminogène exceptionnel qui serait celui des Etats-Unis. Les taux d’homicides sont incontestablement de deux à quatre fois plus élevés, en Amérique du nord qu’en Europe. Mais ils n’ont aucun rapport avec ceux constatés au Brésil, au Mexique et en Amérique centrale. Dans la liste publiée par les Nations Unies en 2011, les Etats-Unis figurent au 27ème rang avec un taux d’homicides de 4,7 pour 100.000 habitants. Le premier pays d’Union européenne figurant dans cette liste est l’Irlande avec un taux de 1,2 pour 100.000. Les trois premiers avec des taux de 82,1 ; 66 et 52,1 sont le Honduras, le Salvador et la Jamaïque. La France, est située en fin de tableau, en 150ème place. L’écho des violences Etats-Unienne perce le mur de l’information mondiale, moins par sa réalité, qui serait hors norme, que par la puissance de médias aux moyens de diffusion universels.

« Continent » des inégalités l’Amérique latine perpétue un bouillon de violences générateur d’insécurité chronique. La crise économique de ces derniers mois a aiguisé les incompréhensions sociales. Les plus riches ont conforté le choix de la ségrégation, – vivre dans des quartiers fermés, protégés par murs électrifiés et des policiers privés-, plutôt que de construire une paix sociale reposant sur un Etat, collecteur d’impôts, au bénéfice de tous. Les plus pauvres, désillusionnés par l’échec de politiques sociales compensatrices, se réfugient dans le religieux évangéliste, ou la délinquance, légitimée à l’occasion d’inventions mystiques, « Vierge des tueurs » en Colombie, ou « Sainte Mort » mexicaine.
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