ANALYSES

Quels progrès ont été effectués sur cette question d’Europe de la défense ?

Interview
21 décembre 2016
Le point de vue de Olivier de France
Le Brexit ou la remise en cause de l’OTAN par Donald Trump sont des évènements de nature à inquiéter les citoyens européens. Les résultats du sommet des chefs d’Etat européens de la semaine passée, où la sécurité européenne a été discutée, sont-elles de nature à rassurer les Européens ?

Faisons une expérience. Je suis un citoyen qui s’intéresse un peu à la marche du monde. Je me dis qu’en 2016, l’Europe n’est pas forcément en train d’évoluer dans le bon sens : elle est moins unie, moins puissante et moins prospère qu’avant. Son environnement extérieur est instable, et elle fait face à un certain nombre de menaces. Le Brexit remet en cause sa cohésion de l’intérieur. Les déclarations de Trump remettent en cause la cohésion de l’Otan. Je me dis que, malgré tout, l’Union européenne reste le premier acteur économique mondial. Je me mets alors en tête d’identifier ce qu’elle fait pour peser sur le cours des choses, autrement que par sa puissance économique. Notamment sur les sujets qui sont au centre des préoccupations depuis 2014, du fait du conflit en Ukraine, du terrorisme, des migrations ou de la crise syrienne : les questions de sécurité et de défense.

Puisque les chefs d’Etat européens sont l’incarnation de la volonté démocratique des 28 pays européens, et qu’ils se sont réunis la semaine passée devant les caméras, j’irais chercher ce qu’ils en ont dit en mon nom, en me lançant dans une recherche Google. Je tomberais probablement sur le site du Conseil européen. Cinq minutes plus tard, il est possible que je trouve la section dévolue aux conclusions des chefs d’Etat, puis la déclaration en question sous une pile de communiqués divers. Armé d’un peu de patience, je trouverais une section consacrée à la sécurité extérieure et la défense, qui contient cinq paragraphes. Des travaux paraissent avoir été menés par des acteurs différents au cours des derniers mois : la Commission européenne, le SEAE, le Conseil des ministres, et l’Otan. J’irais regarder la nature de ces différents travaux et leurs différentes étapes, mais je ne serais pas en mesure de répondre à ma question initiale : quel est donc le plan de l’Union européenne en matière de sécurité en réponse aux évènements de 2016 ? Je m’en retournerais sur les réseaux sociaux car tout cela est décidément un peu compliqué.

Un citoyen, même tout à fait vigilant sur ces questions, peut ainsi avoir l’impression que rien n’a été fait sur le sujet. Cela est dommage car en réalité, l’Union européenne a progressé sur ces dossiers au cours des derniers mois. Mais elle le fait à sa manière. Elle avance sur le temps long et de manière incrémentale – pas forcément sur le temps court. Elle le fait de manière éparpillée – et parfois désordonnée – entre les différentes institutions qui la composent. Enfin, elle garde une incapacité surprenante à communiquer ses résultats. Elle met ainsi en avant les différents plans élaborés avec la Commission, le SEAE et l’Otan. Les experts se chargeront de l’exégèse, mais en quoi cela répond-il véritablement à la question, à savoir quelle est la position de l’Union européenne sur le sujet ?

Quels progrès ont été effectués sur cette question d’Europe de la défense ?

Je distinguerai grossièrement trois phases. La première phase dure environ 10 ans, de 1998 à 2008. Elle est marquée par un certain enthousiasme, de nombreuses déclarations d’intention, comme la capacité de déployer 60.000 soldats en opération extérieure, mais aussi de réalisations concrètes comme les opérations de la PSDC ou la mise en place de l’Agence européenne de défense. La deuxième phase se situe entre 2008 et 2013 où rien n’avance sur les questions de défense. L’Europe est en crise et l’économie – à juste titre – est le dossier prioritaire pour les dirigeants européens qui doivent répondre aux attentes des citoyens à courte échéance. La défense disparait ainsi de l’agenda.

Depuis 2013, l’Union européenne a mis les déclarations d’intention en sourdine pour se concentrer sur la mise en œuvre de projets concrets, notamment dans les domaines capacitaires et industriels. L’idée est de se donner les moyens d’avoir une ambition en avançant de manière plus pragmatique, et pas forcément à 28. Il s’agit paradoxalement d’une démarche à l’anglo-saxonne. L’année 2013 marque ainsi la relance du processus de défense européenne par les institutions.

C’est Herman Van Rompuy qui met la question de la défense et de la sécurité à l’agenda du Conseil européen. Rendons à César ce qui est à César : l’Europe, souvent critiquée pour son manque d’anticipation, a mis la défense européenne à l’agenda avant la crise ukrainienne, les attaques terroristes, la crise des migrants, le Brexit ou encore l’élection de Donald Trump. De son côté, la Commission européenne – qui représente les intérêts collectifs de l’Union européenne -, s’investit sur les questions de défense et commence à parler d’« autonomie stratégique ». Par ce terme, la Commission estime que l’Europe doit pouvoir gérer son environnement stratégique, de manière autonome. Fin novembre 2016, la Commission franchit un nouveau cap : elle rend possible l’établissement d’un financement destiné au secteur de la défense. Concrètement, des fonds seront disponibles pour la recherche dans le secteur de la défense. Cette action est d’une importance capitale, car aujourd’hui, les Etats membres manquent de moyens. En s’investissant sur cette question, elle peut relancer la machine très en amont. Un troisième acteur s’est efforcé de soutenir ces efforts. La Haute représentante de l’Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité a publié une nouvelle stratégie globale de politique étrangère pour l’Union européenne. A l’automne 2016, elle a fait des propositions pour traduire concrètement ce document stratégique. Plusieurs projets sur les questions de défense ont ainsi été mis sur la table en novembre. Ceux-ci concernent les capacités militaires et opérationnelles, les incitations à la coopération, etc.

Si des progrès importants ont été accomplis, il reste aujourd’hui à transformer l’essai : mais cette tâche incombe aux Etats membres. La défense reste résolument une prérogative nationale, et ce sont eux qui doivent désormais se mettre en ordre de bataille. Les ingrédients sont là mais c’est seulement via les Etats membres que l’Europe de la défense se concrétisera. Reste que 2017 sera une année fort compliquée pour faire avancer ces dossiers du point de vue politique, du fait notamment des élections à Paris et à Berlin.

Vous avez évoqué un ensemble de projets en matière de défense qui ont été mis sur la table ces derniers mois. Quels sont-ils ?

Parmi les projets importants, deux tabous symboliques sont tombés. D’une part, la mise en place d’une capacité de contrôle et de coordination des opérations extérieures de l’Union européenne. Il ne s’agit pas d’un QG opérationnel permanent susceptible de faire concurrence à l’OTAN mais d’une capacité accrue pour coordonner les actions extérieures. Cette structure, même embryonnaire, est importante dans le sens où elle permettrait de réaliser des retours d’expérience et d’accumuler une culture stratégique européenne. Une revue annuelle de défense est également prévue. Elle ferait chaque année une veille des efforts des Etats européens en termes de capacité de défense et produirait des recommandations. Nous défendons cette idée depuis longtemps. Par ailleurs, le tabou symbolique du financement de la défense par des fonds communautaires est tombé puisque la Commission pèse désormais sur ces questions. Des financements seront disponibles pour permettre aux Etats de travailler ensemble sur les questions de défense. La coopération structurée permanente pourrait aussi être mise en place, sans que l’on en connaisse précisément les modalités. Si certains Etats refusent de renforcer la coopération sur les questions de défense, elle permettrait à ceux qui souhaitent aller plus en avant de continuer de coopérer ensemble.
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