21.11.2024
Nomination de James Mattis au poste de secrétaire d’Etat à la Défense : Donald Trump sous influence ?
Tribune
2 décembre 2016
La première constatation qui s’impose est que si Donald Trump donne l’impression de choisir seul son secrétaire d’Etat à la Défense – comme le laisse penser sa rencontre avec James Mattis à son club de golf -, il est tout de même étonnant de constater que l’ancien général avait été sollicité au printemps par quelques pontes du parti républicain afin de faire obstacle à l’élection de Donald Trump. James Mattis n’est pas sorti de nulle part, loin de là.
La seconde constatation est que James Mattis est quasi unanimement respecté au sein de l’administration militaire. C’est un homme de poids qui a déjà reçu l’onction du sénateur John Mc Cain, ancien militaire, ancien candidat républicain à l’élection présidentielle en 2008 et surtout farouche opposant de Donald Trump.
Enfin, et surtout, James Mattis a des idées. Il n’est guère utile de s’attarder sur ses quelques propos crus de militaire, quiconque a côtoyé des militaires, ceux qui combattent, qui risquent leur vie et qui sont donc amener à tuer, savent que c’est parfois le lot de ces personnes. Plus intéressant est de constater que James Mattis occupa le poste de CENTCOM (Central Command) de 2010 à 2013 en tant que responsable des opérations pour le Moyen-Orient et l’Afghanistan, sous la présidence de Barack Obama. Mais il fut en 2013 démis de ses fonctions par ce dernier pour avoir trop insisté pour obtenir le déploiement d’un troisième porte-avions dans le détroit d’Ormuz pour accentuer la pression sur l’Iran. C’est une des premières caractéristiques du général Mattis : c’est un spécialiste du Moyen-Orient. De l’Irak en 2003 en passant par l’Afghanistan, puis en ayant la responsabilité entière du théâtre d’opération moyen-oriental à la fin de sa carrière, James Mattis est un fin connaisseur de la région. Et surtout il considère que les Américains doivent y conserver une place : il a toujours milité pour le maintien d’une présence militaire en Irak comme en Afghanistan, considérant que cette présence était un poste d’observation irremplaçable pour les Etats-Unis. Si la menace essentielle lui parait être l’Iran, ces derniers propos laissent à penser que l’accord sur le nucléaire avec l’Iran ne sera pas remis en cause. Il préconise toutefois que les 6 maintiennent la pression la plus grande afin que l’Iran respecte cet accord. James Mattis préconise par ailleurs de s’appuyer sur les pays arabes alliés traditionnels dans la région : Emirats arabes unis, Jordanie, Arabie Saoudite et Egypte. Israël est également considéré comme un allié des Etats-Unis mais James Mattis est partisan de la solution à deux Etats pour régler le conflit israélo-palestinien et considère que la politique de colonisation d’Israël fait obstacle à la paix au Proche-Orient. Enfin, il ne considère pas que la question de Daech soit la menace à traiter en priorité.
Tout ceci dépeint donc un tableau à la fois très contrasté, avec des positions qui s’éloignent déjà pour partie de celles tenues par Donald Trump durant la campagne électorale.
Mais surtout on voit mal James Mattis militer pour un retrait des Etats-Unis de l’OTAN alors même qu’il a été le dernier militaire américain à être à la tête du commandement allié à la transformation de l’OTAN de 2007 à 2009, avant qu’un Français ne prenne ce poste après le retour de la France dans le commandement militaire intégré de l’organisation. Il connaît donc bien cette institution et son intérêt. Lors d’une audition devant le comité des forces armées du Sénat américain en janvier 2015, il recommandait même une politique active des Etats-Unis dans l’OTAN afin que cette organisation fasse preuve de plus de vigilance face à la remontée en puissance de la Russie. Sa nomination devrait sans doute rassurer les pays d’Europe centrale et les pays baltes, mais également rendre plus aléatoire la perspective d’un accord américano-russe sur la Syrie.
Enfin, les propos de James Mattis laissent à penser que les armes nucléaires pourraient jouer un rôle moins central dans la politique de défense américaine. Il a ainsi posé la question de l’abandon de la triade et des missiles nucléaires basés à terre lors de cette même audition devant la commission des forces armées du Sénat. Il semble également remettre en cause, tout au moins partiellement, la politique du pivot tout en recommandant de développer les forces navales, notamment pour assurer la présence en Asie dans une phase de réduction des forces armées américaines. Homme de terrain, et d’occupation du terrain, il n’est pas certain qu’il milite pour une armée qui privilégie le tout technologique, ce qui pourrait le conduire à remettre en cause – ou tout au moins à infléchir – la Third Offset Strategy développée par l’ancien secrétaire d’Etat à la Défense depuis fin 2014.
Enfin, dans tous ses propos depuis 2013, James Mattis a focalisé ses critiques sur la présidence Obama sur l’absence de visibilité et de clarté de la politique stratégique américaine. Même si les Européens peuvent s’inquiéter de certaines des orientations préconisées par James Mattis, ils partageront tout au moins cette dernière avec lui à un moment où personne ne comprend véritablement quelle sera la politique étrangère et de défense du nouveau président américain.
[1] La règle actuelle ne lui permet pas d’occuper ce poste. Un militaire ne peut occuper une fonction au sein du pouvoir exécutif qu’après un délai de 7 ans après avoir quitté l’armée. Or, James Mattis occupait son dernier poste en 2013. Il faut donc que le Congrès lève cette interdiction pour autoriser cette nomination.