20.11.2024
A six mois des élections présidentielles, où en est l’Iran ?
Interview
2 décembre 2016
Après les élections américaines, l’ayatollah Ali Khamenei, a prononcé un discours dans lequel il s’est dit « ni déçu, ni satisfait ». Pour lui, l’accord a d’abord été conclu entre l’Iran et les 5 +1. Les Américains ne sont donc pas les seuls garants de l’accord. Le guide suprême a toutefois critiqué l’attitude des Etats-Unis, qui selon lui, et contrairement à l’Iran, ne respectent pas les engagements pris à la signature de l’accord, notamment au niveau des sanctions financières. A propos du Congrès, il s’est montré menaçant en annonçant que l’Iran considérera tout vote de nouvelles sanctions économiques par les élus américains comme une attaque contre l’accord sur le nucléaire. Il laisse ainsi entrevoir une réaction ferme de l’Iran dans les cas où les Américains ne respecteraient pas leur part du contrat.
En ce qui concerne la société iranienne, les réformistes au pouvoir étaient plus favorables à Hilary Clinton, mais les différents courants politiques iraniens ne sont pas pour autant hostiles à Donald Trump. Ils ont tendance à le considérer comme un businessman pragmatique avec qui on peut s’entendre. De plus, le positionnement de Donald Trump sur la Syrie, qui souhaite collaborer avec la Russie, tranche avec la position de ses prédécesseurs et se rapproche de celle des Iraniens. Les réformistes ne voient également pas d’un mauvais œil le regard neuf de Donald Trump sur la région du Moyen-Orient, ainsi que sa volonté d’entreprendre un rapprochement avec la Russie et de moins s’intéresser aux affaires du monde pour se concentrer sur les affaires américaines.
Cependant, Donald Trump s’est montré, durant la campagne, très critique sur l’accord sur le nucléaire iranien. Il a adopté un discours ferme, conforme au discours en vigueur chez les Républicains sur ce sujet. Il s’est, en outre, entouré de personnalités parmi les plus hostiles à l’Iran. Dans son entourage, on compte notamment Rudolph Giuliani pressenti au poste de Secrétaire d’Etat, John Bolton, ainsi que plusieurs hauts responsables de la sécurité militaire.
Avec l’élection de Donald Trump, nous nous retrouvons dans l’incertitude quant à la nature de futures relations américano-iraniennes. Bien que pragmatique, Trump devra composer avec un Congrès, acquis aux Républicains, plutôt hostile à l’Iran et qui vient de voter le renouvellement des sanctions sur l’industrie énergétique iranienne.
Alors que les Etats-Unis viennent d’accorder leur feu vert pour les ventes d’Airbus à l’Iran, quid de l’ouverture effective de l’économie iranienne ? La France arrive-t-elle à tirer son épingle du jeu à l’image du méga contrat remporté par Total pour le développement d’un important gisement gazier ?
L’économie iranienne n’a jamais été fermée. Le pays commerçait beaucoup avec l’Europe avant 2006. Après l’entrée en vigueur des sanctions, elle s’est tournée vers l’Asie et les pays voisins comme la Turquie ou l’Afghanistan.
Depuis les accords sur le nucléaire, une ouverture économique se met en place progressivement. L’Iran a d’ores et déjà fait son retour en tant qu’exportateur d’hydrocarbures. Ses exportations ont repris leur niveau d’avant les sanctions. Une donne importante pour l’Iran, quand on sait que les hydrocarbures représentent 80% de ses exportations et la moitié de ses recettes budgétaires. L’OPEP, dans les récents accords, a d’ailleurs autorisé l’Iran à augmenter légèrement sa production.
Pour le reste, la mise en œuvre de l’ouverture de l’Iran est plus complexe et prend du temps. Des délégations étrangères, notamment des politiques et des entreprises européennes, se sont d’ores et déjà rendues en Iran. De son côté, Hassan Rohani a entrepris des visites en France et en Italie. Tout comme Total, Peugeot a récemment signé un contrat avec l’Iran. Cependant, la signature de ses contrats ne se vérifie pas encore dans les chiffres et la France ne fait pas partie des 10 premiers exportateurs sur le marché iranien. Un élément majeur bloque les avancées : les banques européennes refusent encore de coopérer avec l’Iran.
La réaction des banques européennes est compréhensible. Elle fait écho aux sanctions financières imposées à BNP Paribas par la justice américaine (BNP Paribas s’était vue affliger, en 2014, une amende record de 9 milliards d’euros pour non-respect des embargos américains ; elle avait notamment facilité des transactions en dollars avec Cuba, l’Iran et le Soudan). Aujourd’hui, certaines sanctions restent en vigueur, la banque qui y dérogerait se verrait infliger une amende ainsi qu’un retrait de sa licence pour accéder au marché financier américain. Malgré les opportunités d’affaires, aucune banque ne se hasarde à s’exposer aux sanctions américaines. C’est une question de gestion du risque, en l’absence de garanties, les grandes banques européennes refuseront de collaborer avec l’Iran.
Dans cette situation, les dirigeants européens doivent intervenir et offrir des garanties aux banques, d’autant plus que le gouvernement iranien met beaucoup de moyens en œuvre pour renouer des relations financières avec l’Europe. Ils ont notamment accepté d’appliquer une réglementation contre le blanchiment d’argent.
L’élection de Donald Trump est venue agrandir l’incertitude dans laquelle se trouvent les banques européennes, car le futur président des Etats-Unis laisse planer un éventuel durcissement des sanctions à l’encontre de l’Iran. Cette éventualité représente aussi une opportunité pour l’Europe. Nos politiques pourraient très bien refuser de se faire imposer leurs vues aux Américains et d’offrir des garanties aux banques pour investir en Iran. Malgré tout, je ne vois pas les entreprises françaises retrouver la part de marché qu’elles avaient auparavant (en 2005-2006, l’Iran était le premier marché de la France au Moyen-Orient), sans le retour des grandes banques européennes sur le territoire iranien.
L’Iran est à six mois de son élection présidentielle. Hassan Rohani peut-il parvenir à se maintenir au pouvoir ? Les « modérés ont-ils su apporter les changements attendus par la société iranienne ?
Hassan Rohani fait en effet partie des conservateurs modérés qui ont scellé une alliance avec le camp des réformistes pour s’opposer aux conservateurs plus radicaux.
Les élections présidentielles se tiendront dans 6 mois. Comme dans toute élection, il est difficile de prévoir qu’elle en sera son issue. On sait qu’il existe un mécontentement général des Iraniens par rapport aux résultats de la politique d’Hassan Rohani sur le plan économique.
Grâce une levée progressive de l’embargo, l’Iran a optimisé ses exportations d’hydrocarbures et le pays enregistre une croissance de 4% par an. Les habitants n’en perçoivent cependant pas les retombées. Les sanctions continuent de peser sur les banques européennes, ce qui freine le développement de l’économie iranienne. De plus, il faut, en général, plusieurs années consécutives de croissance avant que des impacts positifs sur la population ne soient générés. Le pays reste marqué par d’importants problèmes d’inégalités et surtout de chômage. Il y aurait 18 % de chômeurs et les jeunes diplômés souffrent de problèmes d’insertion dans le monde professionnel.
Sur le plan social, les tensions sont fortes en Iran et Hassan Rohani n’a pas été en mesure d’améliorer la situation quotidienne des Iraniens. Il est vrai que les radicaux se sont également opposés à toute évolution de la société iranienne. A travers la justice notamment, ils ont mené une politique de répression systématique sur les artistes, les journalistes et les défenseurs des droits de l’homme. Beaucoup de concerts ont, par exemple, été annulé par la justice. Celle-ci est indépendante de l’exécutif et plutôt acquise aux conservateurs radicaux. Par conséquent, Hassan Rohani n’a pas été en mesure d’exercer une influence sur cette instance. Avec les groupes les plus radicaux, mais aussi avec l’aide du Guide suprême, la justice a mené une politique de « sabotage » de la politique d’ouverture économique et de normalisation des relations de l’Iran avec l’étranger.
Malgré le bilan mitigé d’Hassan Rohani sur le plan économique et social, les radicaux ne semblent cependant pas en mesure de trouver un candidat susceptible de représenter une alternative crédible. Parmi les radicaux, Mahmoud Ahmadinejad conserve une certaine popularité, notamment parmi les classes les plus pauvres de la population iranienne mais le Guide lui a « conseillé » de ne pas se présenter aux élections. D’autre part, la population iranienne est mature, bien éduquée et semble peu enclin à un retour en arrière. Les radicaux sont, par exemple, très hostiles à l’accord sur le nucléaire alors que la majorité de la population le soutient.
Si Hassan Rohani, durant les deux premières années de son mandat, s’est focalisé sur la signature d’un accord sur le nucléaire, il doit désormais apporter des réponses sur le mécontentement économique et social de la population s’il souhaite se maintenir au pouvoir.