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Pourquoi le match Trump contre la Chine pourrait finalement être gagnant-gagnant

Presse
30 novembre 2016
30Si la Chine est actuellement l’un des pays les plus fermés aux investissements étrangers, l’élection de Donald Trump pourrait faire évoluer la situation.

Selon Bloomberg View, l’élection de Donald Trump à la tête des États-Unis est susceptible de créer de réelles opportunités économiques pour Pékin comme Washington. En forçant peu à peu la Chine à s’ouvrir aux capitaux étrangers, à la manière du Japon, la politique de Donald Trump pourrait-elle effectivement profiter aux deux économies ?

Jean-Vincent Brisset : En introduction et précision préalable à cet entretien, il me paraît important de mettre en avant quelques éléments. Donald Trump, au cours de sa campagne, a fait plusieurs déclarations contradictoires concernant la politique qu’il comptait mener vis-à-vis de la Chine. Il convient donc de préciser qu’on ignore ce qu’il fera. Si, à titre de précédents historiques, on revient sur les déclarations concernant la Chine d’Obama ou de Bush Jr en tant que candidats et les actions menées ensuite en tant que présidents, les différences sont colossales.

Cette situation impose une certaine forme d’humilité et pousse à rappeler qu’il ne s’agit, finalement, que d’une hypothèse.

Si Donald Trump respecte ses dernières déclarations et que cela crée une opportunité d’investissement américain en Chine, cela se fera davantage au profit de Pékin que de Washington. Investir en Chine reste en effet extrêmement complexe : ce n’est pas parce que la Chine autorise plus d’investissements étrangers qu’elle permet le fonctionnement de ces mêmes investissements. Nous avons déjà assisté à des situations où la Chine autorisait des investissements étrangers à la seule condition que tout ce qui était fabriqué sur son sol soit ensuite réexporté. De telles solutions lui permettaient d’éviter toute concurrence sur son marché intérieur tout en concurrençant les pays ayant investi chez elle.

Bloomberg View prend l’exemple du Japon et de la façon dont les États-Unis ont permis son ouverture. La comparaison, cependant, n’est pas tout à fait exacte. Il n’a jamais été reproché au Japon de manipuler sa monnaie. La période de contrefaçon japonaise était terminée depuis des lustres déjà quand Reagan a modifié sa politique à l’égard de l’archipel. En outre, le Japon était strictement dépendant des États-Unis d’un point de vue militaire. Cela n’a jamais été vrai pour la Chine. Comme vous le constatez et comme le souligne d’ailleurs l’article de Bloomberg View, les différences sont nombreuses.

L’hypothèse, évidemment, d’une ouverture réelle de la Chine aux capitaux étrangers est plus favorable aux États-Unis, mais seulement sur le court terme. Si la liberté d’investissement permettait de récupérer les bénéfices – comme ce serait le cas dans une situation d’ouverture totale –, elle conduirait probablement à un partage de compétences entre les États-Unis et la Chine. Ce partage existe déjà plus ou moins, mais il serait amplifié. Pour l’heure, cela se limite à de la désindustrialisation, mais cela pourrait aller beaucoup plus loin : pendant très longtemps, la Chine aura encore un désavantage compétitif dans certains domaines. Si l’encadrement et la capitalisation des industries implantées est autorisée, et ce pour fonctionner sur le marché chinois comme à l’exportation, cela impliquerait une montée en qualité et en compétitivité de la Chine. Par conséquent, les Occidentaux, et tout particulièrement les États-Unis, y perdraient. Nous avons besoin de la Chine, aujourd’hui, pour maintenir les prix à un niveau suffisamment bas. Si les tarifs et les droits de douanes augmentaient de façon brutale, on constaterait des hausses de prix violentes. Cela toucherait tout spécialement les biens de consommation immédiate, utilisés par la population la moins favorisée.

Encore une fois, si l’on se base sur les déclarations de Trump, la situation peut profiter aux États-Unis, sur le court terme. Concrètement, cela permettrait de réguler les prix sur certains biens de consommation de façon à ce qu’ils soient assez bas. Cela permettrait aussi de créer des emplois américains à l’expatriation, et donc de permettre une hausse de la production de biens de consommation directe. Mais, malheureusement, sur le long terme cela pose le risque d’une perte d’autonomie.

Une telle hypothèse vous paraît-elle crédible, cependant ? Dans quelle mesure la Chine est-elle prête à faire preuve de plus d’ouverture ? Que risque-t-elle, si elle s’entête à verrouiller son marché intérieur ?

Il est difficile de dire que la Chine est prête à davantage d’ouverture. A l’heure actuelle, le marché de l’emploi chinois est extrêmement tendu pour les gens qualifiés. La Chine fait face à un gros déficit de personnel qualifié. Cela provoque d’ores et déjà des hausses de prix. L’envoi d’expatriés donnerait lieu à des conflits que les Chinois ne supporteraient pas. Il ne faut pas non plus oublier les problèmes de prérogatives que cela pourrait créer, entre Chinois et non-Chinois. A l’heure actuelle, dans les joint-ventures (coentreprises), la Chine impose toujours un directeur chinois.

Si cette règle venait à être supprimée – ce qui serait finalement l’aboutissement de l’ouverture de la Chine et de son marché – cela engendrerait de réels problèmes sociaux. Tout particulièrement dans une classe sociale privilégiée, proche de la classe dirigeante et prompte à la colère quand elle ne récupère pas sa part du gâteau. Il y a donc un ferment d’instabilité sociale que les Chinois craignent beaucoup.

En outre, ce que les Chinois autorisent le plus facilement aujourd’hui, c’est l’implantation d’industries dans les zones les plus défavorisées. Ils n’appellent pas à l’implantation d’entreprises étrangères dans les régions côtières ou les zones plus aisées. Or, dans une situation de liberté plus absolue d’investissement, des entreprises américaines auraient davantage tendance à investir du côté de Shanghai, de Canton ou de Ningbo que du côté du Xinjiang. Concrètement, cela apporterait plus de déséquilibre à une situation d’ores et déjà déséquilibrée. Or, on constate que Xi Jinping semble avoir des difficultés à contrôler son pays. Il est obligé d’avoir recours à la lutte anti-corruption et à l’arrestation d’individus d’importance, ainsi que de prôner un nationalisme fort. Tous ces éléments montrent ses soucis de gouvernance. Le principal problème des dirigeants chinois, et ce depuis la période des empereurs, a toujours été la paix sociale – ou au moins l’absence de conflit. Trop d’ouverture amènerait probablement des conflits : cela signifierait libéraliser un système qui l’est déjà considérablement aux yeux des Chinois et, surtout, créer un système libéral à deux vitesses. D’une part, on aurait le système libéral des étrangers et d’autre part le système libéral des Chinois. Le secteur d’État, qui a de gros soucis et qui représente 20 à 25% des employés chinois, se retrouverait encore plus en porte-à-faux qu’il ne l’est déjà.

Une trop grande ouverture engendrerait donc une certaine instabilité sociale. Depuis 20 siècles, pendant toute l’histoire de la Chine donc, l’ouverture a été perçue comme une menace. Il est peu probable que cela change du jour au lendemain.

À quoi pourrait ressembler le commerce mondial, si la ligne chinoise évoluait effectivement ? Pour qui cela s’avèrerait préjudiciable ?

Cela impliquerait une modification très lourde qu’il faudrait mesurer branche par branche, dans chaque secteur. Nous avons d’ores et déjà accepté une telle évolution – pratiquement achevée – dans le cadre de certains domaines (chaussures, écrans plats, etc.). En dépit des tarifs douaniers, il n’existe plus – par exemple – d’écrans plats qui ne soient pas en provenance de Chine. Au niveau mondial, donc, il y a quelques domaines où cette évolution est réelle. Du fait de sa dimension, très limitée, ça s’est fait sans trop de dommages. Si cette évolution prend une dimension plus large, cela devient difficile à imaginer. On peut penser que le commerce automobile serait très largement impacté, au détriment du Japon et de l’Europe. Dans l’aéronautique et l’aviation de ligne, ce serait très probablement le cas aussi. Les marchés chinois et américain se fermeraient de facto à Airbus et la concurrence mondiale serait beaucoup plus sévère.

Certains analystes estiment que si Donald Trump ferme complètement les frontières, la Chine va inonder le marché européen et pratiquer encore plus le dumping. C’est possible. Encore une fois, nous ignorons complètement ce que fera Donald Trump. Nous ne le saurons pas avant plusieurs mois. In fine, tout cela relève beaucoup du putatif.
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