04.11.2024
« Du sexisme dans le sport » – 3 questions à Béatrice Barbusse
Édito
23 novembre 2016
Vous préconisez le développement d’une « conscience de genre » – à l’instar d’une conscience de classe – pour lutter contre les discriminations. Pouvez-vous expliquer ?
Pour lutter contre les discriminations, il faut dans un premier temps que les groupes discriminés soient conscients d’appartenir à un tel groupe social. Autrement dit, à l’instar de la conscience de classe, il faut que les membres appartenant au genre féminin aient conscience de constituer un « genre en soi » mais aussi un « genre pour soi ». Ici, le genre féminin existe bien objectivement en tant que catégorie sociale discriminée. Il existe de nombreux indicateurs pour le démontrer. En l’occurrence, les statistiques avancées dans le livre et dans de nombreux rapports montrent bien que dans le sport la place des femmes est marginale. Nous faisons ainsi face à un « genre en soi ». Mais pour que le genre constitue une catégorie non pas seulement objective mais aussi subjective, il faut que les femmes aient conscience d’appartenir à une catégorie à part et en particulier discriminée. Il faut qu’elles aient le sentiment de faire partie d’un « genre pour soi ».
Cette conscience de genre est indispensable afin de lutter contre les discriminations pour plusieurs raisons. La première est qu’une femme qui a tout à fait conscience d’appartenir à un genre discriminé saura davantage faire preuve de réflexivité à l’égard de son propre comportement qu’une femme qui a juste conscience d’être une femme. Dès lors, celle qui a cette conscience peut éviter de reproduire des comportements qui favorisent sa propre infériorisation et celle de toute la gent féminine. De l’autre côté, celle qui la nie en adoptant le comportement classique de la selfmade woman (« J’y suis bien arrivée, moi ! ») accepte au fond de fait la situation inégalitaire et s’y adapte tant bien que mal sans jamais la remettre en cause. Alors que, et c’est la deuxième raison, lorsque l’on est consciente d’appartenir à une catégorie discriminée, infériorisée, on a plus de chance de se mobiliser pour lutter contre et donc de se rebeller. Voilà pourquoi la conscience de genre est si importante. Sans son développement, le sexisme dans le sport a encore de beaux jours hélas. Pour dire les choses plus simplement, si les femmes de sport, et les sportives en premier, n’ont pas pleinement conscience d’appartenir à une classe discriminée, alors elles ont toutes les chances d’y rester.
Le plafond de verre en matière de sport est-il en train d’être remis en cause ou paraît-il toujours solide ?
Le plafond de verre se fissure de plus en plus ces dernières années. On le voit bien dans le football avec l’arrivée à des fonctions inimaginables encore il y a quelques années de Corinne Diacre à Clermont, de Nathalie Iannetta à l’UEFA et de Nathalie Boy de la Tour à la tête de la Ligue de football professionnel (LFP) ou de Stéphanie Frappart à l’arbitrage. Mais il reste encore solide. Les fissures qui apparaissent ne sont pas suffisamment importantes pour que le plafond s’écroule totalement. Il faudra encore du temps pour que les choses s’équilibrent réellement.
Il faudra surtout continuer à mesurer les évolutions, à les scruter, et surtout à les provoquer. À cet égard, il est intéressant de suivre en ce moment les résultats des élections fédérales pour voir si les fédérations respectent la loi du 4 août 2014 ou si elles vont plus loin. Et oui pourquoi pas ? Prenons le cas d’une fédération où la proportion des femmes licenciées est inférieure à 25% : elle n’a donc pas l’obligation d’avoir 40% de femmes au moins à son conseil d’administration. Pour autant, elle peut volontairement aller au-delà de la stricte proportionnalité et aller vers les 40%. C’est comparable avec la responsabilité sociale des entreprises. Elle les oblige à respecter les règles et les minima imposés par le droit du travail et le droit social mais rien ne les empêche de les dépasser. Hélas, la quasi-totalité des fédérations n’iront pas au-delà de ce que la loi leur impose, ce qui démontre bien que le sexisme ne disparaitra pas tout seul…
Y-a-t-il des sports plus rétifs que d’autres à l’égalité homme/femme ?
Dans les sports dits « masculins », c’est-à-dire ceux où le nombre de licenciés masculins est très élevé, il est plus difficile de faire accepter l’égalité homme/femme, mais en même temps c’est au sein de ces sports que les évolutions seront de fait plus significatives. On le voit aujourd’hui avec la boxe et le football. Certes, les mentalités sont peut-être plus rétives en raison de la prégnance d’une culture patriarcale, mais lorsqu’il y a un volontarisme politique affiché et assumé comme dans le football français, les évolutions sont bien là. Lorsque des boxeuses comme Estelle Mossely ou Sarah Ourahmoune réalisent des performances sportives – comme aux derniers Jeux olympiques (JO) de Rio – cela réveille les consciences et peut accélérer les évolutions.
En sens inverse, dans les sports où les femmes sont davantage pratiquantes, comme le handball, le basket, l’équitation, elles n’atteignent pas pour autant des postes de responsabilité (entraineur, arbitre, dirigeant). Comme me le faisait remarquer le professeur Pierre Parlebas la semaine dernière lors de mon intervention au laboratoire de recherche de Paris V, le sport en général (et en particulier les sports olympiques) est sexiste, alors que la plupart des pratiques corporelles notamment des jeux sportifs traditionnels ne le sont pas…