ANALYSES

L’élection de Trump : une impulsion décisive pour l’Europe de la défense ?

Interview
16 novembre 2016
Le point de vue de Jean-Pierre Maulny
Le conseil de l’Union européenne s’est accordé lundi sur un plan global de mise en œuvre de la stratégie dans le domaine de la défense et de la sécurité. L’Europe de la défense est-elle en train de se relancer ? Va-t-on vers une défense européenne autonome ? Ce plan va-t-il permettre à l’Europe « de franchir un pas de plus vers l’autonomie stratégique » comme l’a déclaré le ministre de la Défense français, Jean-Yves le Drian ?

Le texte adopté lundi 14 novembre par le conseil Affaires étrangères de l’Union européenne concerne l’application de la stratégie globale de l’UE dans le domaine de la défense et de la sécurité, publiée en juin 2016. Il s’agit, en quelque sorte, d’une feuille de route indiquant la marche à suivre sur les questions de défense. Des mesures sont prises dès aujourd’hui, d’autres restent à déterminer dans les mois qui viennent.
Nous attendions ce texte mais nous étions initialement pessimistes quant à son contenu. Il a été élaboré en coordination entre l’Union européenne et les Etats membres. Federica Mogherini, Haute représente de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité et vice-présidente de la Commission européenne, a eu, en effet, à charge de préparer un texte prenant en compte les propositions faites par les Etats. A l’image de la lettre des ministres de la Défense français et allemands qui avait été rendue publique en septembre 2016. C’est donc un exercice qui implique à la fois l’institution européenne et les Etats membres
Le texte final s’avère finalement plus ambitieux que ne le laissaient envisager les discussions préparatoires. Le document final comprend 31 pages, ce qui est beaucoup. Il se présente sous la forme de conclusions communes auxquelles est annexé un document de 31 pages qui identifie 13 actions à mettre en œuvre dans les mois à venir. Sont envisagées, par exemple, la création d’un fond d’investissement pour les programmes en coopération de l’Union européenne, une intégration plus forte des capacités pour mener à bien des opérations militaires au sein de l’UE, ainsi qu’une perspective de réflexion sur la coopération structurée permanente à la fois inclusive et modulaire. Cette coopération structurée permanente figure dans le Traité de Lisbonne mais n’a jamais été définie. De manière générale, l’objectif est d’avoir une défense européenne plus forte afin de mieux assurer la sécurité des citoyens européens, grâce à des capacités militaires accrues qui seront définies en coopération.
Le terme « autonomie stratégique » revient également plusieurs fois. Son emploi ne signifie pas que l’Europe sera indépendante pour sa défense, mais qu’elle veut se donner les capacités de conduire des opérations de manière autonome et de se doter de capacités militaires, industrielles ainsi que technologiques autonomes. L’objectif est simplement que les Européens fassent plus et mieux pour leur défense ce qui conduira nécessairement à une plus grande autonomie stratégique de l’Europe.

Les déclarations de Donald Trump font redouter à certains un désengagement des Américains de la protection militaire de l’Europe. N’est-ce pas finalement une opportunité pour l’UE de resserrer les rangs et de s’entendre vers plus d’intégration ?

C’est effectivement possible. L’élection de Donald Trump met les Européens dans une situation de grande incertitude, car de sa politique étrangère et de défense, nous ne connaissons que des déclarations prononcées durant la campagne qu’il faut parfois qualifier « d’exotiques ».
Compte tenu des propos de Donald Trump et de la composition de son entourage qui n’en est encore qu’à ses balbutiements, il est encore difficile de savoir si les Etats-Unis ont tranché entre deux lignes de conduite : un retour à l’isolationnisme, revendiqué par Donald Trump, ou une politique plus interventionniste, plus néoconservatrice, sous l’influence de certains conseillers puisqu’on évoque le nom de John Bolton qui faisait partie des conseillers lors du premier mandat de George W. Bush de 2001 à 2005.
Dans les deux cas de figure et dans la lignée du slogan « America first », le budget militaire des Etats-Unis devrait augmenter. Pour autant, cela ne signifie pas que les Etats-Unis adopteront une ligne interventionniste et qu’ils continueront à garantir le même niveau de protection aux Européens.
Face à ces deux options, le texte adopté par l’Union européenne apporte des réponses pertinentes. Le Vieux Continent envoie un message outre-Atlantique : plus d’efforts seront mis en œuvre par les Européens dans l’organisation de leur propre défense répondant ainsi par avance à une Amérique qui deviendrait plus isolationniste. Le New York Times ne s’y est pas trompé en titrant « Europe rethinks defense in Trump era. ». Les conclusions de la réunion du conseil des affaires étrangères du 14 novembre renvoient toutefois à des actions concrètes dont on ne verra véritablement la portée qu’en juin 2017, date à laquelle la clause de rendez-vous est fixée. Les actions concrètes restent à définir précisément et à appliquer. Or l’Union européenne nous a habitué, ces dernières années, à beaucoup de déclarations d’intention en matière de défense et de sécurité pour peu de réalisations concrètes. Il faudra rester vigilant.

Concrètement, quel serait l’impact d’un retrait de l’OTAN de la part des Etats-Unis ? L’Europe a-t-elle les moyens de se défendre ?

Je ne vois pas les Etats-Unis se retirer de l’OTAN, malgré les déclarations de Donald Trump en ce sens. En effet, l’organisation transatlantique constitue, pour la première puissance mondiale, un moyen de contrôle de la politique étrangère et de défense des Européens sans pour autant déployer des moyens réellement importants. L’OTAN est un instrument d’influence irremplaçable des Etats-Unis sur les Européens, y compris pour y exporter les équipements militaires fabriqués par l’industrie d’armement américaine. Cela étant, tout en restant dans l’OTAN, Donald Trump offrira-t-il les mêmes garanties de protection vis-à-vis de la Russie comme les pays d’Europe centrale et d’Europe du Nord le demandent aujourd’hui ? La question mérite d’être posée, notamment en ce qui concerne les Etats baltes et la Pologne.
Si la garantie de sécurité donnée aux Européens par l’Amérique de Donald Trump est limitée, elle ne disparaîtra jamais totalement, ils essaieront de trouver un accord avec la Russie pour régler le conflit ukrainien et apaiser les tensions en Europe. La résolution du conflit ne figure-t-elle pas dans les intérêts européens ? Le seul écueil d’une telle perspective est que l’Union européenne disparaîtrait une nouvelle fois de l’échiquier diplomatique, l’accord se faisant directement entre les Etats-Unis et la Russie.
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