21.11.2024
États-Unis « Le programme économique de Trump sera catastophique. »
Presse
10 novembre 2016
Je ne crois pas que ce soit une réaction à la politique économique de Barack Obama. Obama est probablement le président sortant le plus populaire. C’est un point important car la situation macroéconomique des États-Unis est plutôt bonne. 4,9 % de chômage, ce qui est très faible, presqu’un niveau historique. Ils ont, quasiment à tout point de vue, effacé les impacts de la crise financière de 2008. Le PIB se maintient. La croissance est certes peu élevée, entre 2 et 3 %, mais elle est plutôt bonne, vue la situation de crise.
Justement comment va le pays ?
Ce qui choque les Américains, ce sont les inégalités entre riches et pauvres. On ne peut pas accuser, ni les médias ni les politiques, de ne pas avoir pris la mesure de ces inégalités. Mais les politiques ne sont pas parvenus à les enrayer. Les 3 % les plus riches concentraient 30,5 % du revenu total en 2013 contre 27,2 % en 2010.
Donald Trump a été élu sur un programme économique qui se veut fort, rassurant. Il rassure beaucoup d’Américains face à des changements qui sont peut-être allés trop vite. Avant d’être perçu comme protectionniste, il est perçu comme protecteur.
S’il applique son programme c’est tout un nouveau monde qui va se dessiner…
Tout à fait. Il veut taxer à 45 % les produits importés de Chine. S’il applique ça, c’est sûr que les Chinois ne vont pas se laisser faire.
Des études ont chiffré les conséquences de ses propositions. Une étude du Peterson institute for international economics, basée à Washington, a évalué sa politique commerciale à 27 millions de chômeurs supplémentaires.
S’il fait ce qu’il a dit, ce sera dramatique. Tout ce que critique Trump, c’est ce qui a fait la force de la société américaine ces soixante-dix dernières années : le commerce international, l’ouverture, la mondialisation. Les États-Unis se sont enrichis sur cette ouverture. Aucun autre pays, à part peut-être la Chine ces dernières années, l’a rattrapé. Dans un monde toujours plus riche, les États-Unis le sont toujours plus aussi.
Avec le ralentissement récent des économies émergentes, en partie des Brics, les États-Unis ont repris leur place de moteur de croissance mondiale. Si le marché américain se ferme et que la situation se dégrade, cela pèsera sur l’ensemble de la planète.
Est-ce que son programme est réalisable ?
C’est possible si, comme Donald Trump l’a souhaité, les États-Unis sortent de l’Organisation mondiale du commerce. Ses promesses dérogent aux engagements internationaux de facilitation des échanges commerciaux. Donald Trump est capable d’aller jusqu’au bout et de dire « ce n’est pas grave, on est les plus fort, on va sortir de tout ça. » Même si cette sortie prendra du temps, ça ne l’empêchera pas d’appliquer ses mesures.
Ce qui va freiner la mise en œuvre de son programme économique, ce sont les conséquences même des mesures qu’il propose et qui ne tarderaient pas à se produire.
C’est-à-dire ?
La majorité des vêtements qui sont vendus aux États-Unis viennent de Chine. Si vous imposez des droits de douane de 45 %, ça veut dire que ces produits valent 45 % plus cher. Vous croyez que les Américains vont accepter ça ? La contestation viendra de la rue car l’augmentation des prix va être immédiate. À ce moment-là, il sera obligé de changer de cap.
Tout le monde critique le libre-échange aujourd’hui. Mais est-ce que les gens ont réfléchi aux conséquences que cela a eues sur leur vie quotidienne ? Pouvoir se payer un écran plat pour deux francs six sous et toujours moins cher, payer des vêtements peu chers. C’est ça le libre-échange.
Il dit qu’il va baisser les impôts. Très bien. Mais augmenter les droits de douane, c’est augmenter fortement les impôts pour tous les Américains.
Quid de sa proposition de taxer les entreprises qui délocalisent ?
Si Donald Trump rapatrie ces emplois, on ne les payera pas le même tarif. Donc on augmente encore une fois les prix aux États-Unis. Cela va satisfaire à court terme une partie des électeurs de Trump mais pour fabriquer des produits beaucoup plus cher et finalement recréer du chômage. Les Américains n’auront pas les moyens d’acheter autant qu’aujourd’hui.
S’il espère que les entreprises vont relocaliser aux États-Unis, il se fait des illusions. S’il met en place des incitations fiscales, les entreprises ne créeront pas ces emplois-là. Ils seront remplacés par des machines.
Est-ce qu’il va être soutenu par les élus Républicains du Congrès, en majorité favorables au libre-échange ?
C’est probable que oui dans un premier temps, puisqu’il vient d’être élu. Mais le Congrès américain est un véritable contre-pouvoir. Ils pourraient atténuer la politique annoncée par Donald Trump. Tout Républicains qu’ils soient, il y a une vraie séparation des pouvoirs aux États-Unis, contrairement à la France. Le Congrès, institution chargée de voter les lois, est réellement indépendant du pouvoir exécutif. Il n’est pas rare qu’un représentant vote dans une direction inverse de celle son parti.
Il y a aussi une énorme incertitude sur sa politique. Rien ne dit, après un affichage très virulent, volontariste, qu’il ne se tourne vers plus de modération.
Est-ce que l’Union Européenne doit s’inquiéter ?
Oui au niveau de la croissance économique. Les États-Unis restent le moteur de la croissance mondiale. Ce n’est pas le moment pour nous d’avoir un marché américain fermé. Mais des retombées peuvent être positives. Si Donald Trump renonce à l’Alena – l’accord de libre-échange avec le Canada et le Mexique – et se froisse avec le Canada, on peut imaginer que cela renforce réellement nos relations avec ce pays.
Un certain nombre d’hommes d’affaires américains qui ne voudraient pas travailler sous Trump, qui se sentiraient pénalisés par sa politique, pourraient se repositionner en Europe. L’option la plus simple pour eux, car les liens entre UE et États-Unis sont forts. L’UE est le premier partenaire commercial et financier des États-Unis.