27.12.2024
L’élection de Donald Trump va-t-elle bouleverser l’ordre économique mondial ?
Interview
10 novembre 2016
Donald Trump arrive paradoxalement dans un contexte économique plutôt bon aux Etats-Unis. Les Américains jouissent d’un quasi plein emploi avec un taux de chômage à 4,9%, tandis que leur croissance reste relativement stable et dynamique dans le contexte mondial actuel (2.1% en 2015 et probablement 1.8% en 2016). La plupart des analystes considèrent que la crise est passée et que l’économie américaine est plutôt dans une situation stabilisée. C’est d’ailleurs pour ces raisons que la réserve fédérale avait annoncé il y a quelques semaines une augmentation de ses taux directeurs en décembre. L’une des premières conséquences économiques de l’élection de Monsieur Trump risque d’être le maintien des taux. A suivre…
Par ailleurs, Barack Obama reste populaire. Début novembre 2016, l’Institut américain Gallup estimait sa popularité à 56% des personnes interrogées, un sommet de popularité pour lui (la seule fois où il fit mieux, c’était en octobre 2012, quelques mois avant sa réélection, il atteignait alors 57%) et un record pour un Président sortant. S’il avait pu se représenter, il aurait probablement été élu ! Ce vote n’est donc pas non plus un vote contestataire.
L’élection de Donald Trump ne s’explique pas directement par les difficultés économiques réelles des Américains. Certes, le nombre de pauvres a augmenté mais ces derniers ont plutôt voté démocrate. Le facteur clé pour comprendre l’élection de Donald Trump est probablement la montée des inégalités dans ce pays depuis 30 ans. En 2002, alors qu’il n’était encore que Professeur d’économie à Princeton, Ben Bernanke, l’ancien directeur de la réserve fédérale, avait fait déjà fait ce constat et expliquait combien ces inégalités remettaient directement en cause le modèle d’ascension sociale (le rêve américain en quelque sorte) de ce pays. Et avec cette élection, il semblerait que les Américains aient intégré cela au point de craindre un déclassement à venir. C’est ce qui s’exprime par la peur de « l’étranger », celui qui nous prend nos jobs, donc nos richesses, dans l’inconscient collectif… Or, alors que Barack Obama en avait fait sa priorité en 2012, il n’est pas parvenu à enrayer le phénomène de montée des inégalités.
Ce n’est donc pas une situation économique objective qui fait voter Donald Trump mais plus la peur du lendemain.
L’avènement d’un président qui prône le protectionnisme peut-il changer la nature des relations entre les Etats-Unis et ses partenaires commerciaux ?
Oui. Si Donald Trump tient ses promesses en matière économique, cela changera radicalement la donne pour les Etats-Unis et pour l’économie mondiale. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, en effet, les Etats-Unis sont les maîtres du jeu dans le domaine économique. L’ouverture des économies qui a conduit à la mondialisation dans laquelle nous vivons aujourd’hui a été leur choix et leur volonté depuis cette période. Par ailleurs, l’économie américaine a toujours été le principal moteur de la croissance mondiale, un peu affaibli au moment de la crise de 2008 et dans les années qui suivirent mais jamais totalement remis en cause. Or, le protectionnisme annoncé par Trump change radicalement la donne. En matière d’ouverture économique d’une part ; par les menaces qu’il fait peser sur la croissance américaine donc mondiale d’autre part.
Le garde-fou de cette politique radicale sera probablement la rue américaine. La politique annoncée par Trump aura un effet prix assez immédiat : un droit de douane entraîne l’augmentation immédiate des prix à hauteur du pourcentage de celui-ci (Trump a annoncé 45% pour les produits chinois !) sauf à pouvoir substituer par des produits domestiques ou pour les détaillants à accepter de réduire leurs marges… Cela paraît difficile dans certains secteurs (vêtements et chaussures, jouets, électroniques etc.) où l’importation fournit presque toute la demande aux Etats-Unis.
Après le Brexit, l’élection de Donald Trump s’inscrit-elle dans un contexte de rejet de la mondialisation et du libre-échange ?
Oui. Si à la fin des années 1990, la contestation de la mondialisation, l’altermondialisme, représentait une minorité de personnes, politiquement relativement bien identifiées, le rejet de la mondialisation et du libre-échange est aujourd’hui massif et généralisé.
Comme dans le cas de l’élection de Monsieur Trump, ce rejet n’est pas le résultat objectif d’une situation macroéconomique. Le bilan économique de la mondialisation est plutôt bon sur le long terme : sur les 70 dernières années, le niveau de vie a augmenté partout dans le monde, jamais autant de pays et d’individus n’avaient accédé au développement économique, etc. Pour autant, tout est loin d’être parfait dans ce monde économique. Les externalités négatives (réchauffement climatique, montée des inégalités, conséquences politiques, géopolitiques et sociales, comportements de certains acteurs, etc.) ont trop peu été prises en compte alors qu’elles sont porteuses de risques majeurs pour l’avenir et que, dans ce contexte, elles génèrent des craintes légitimes des populations partout dans le monde : peur du déclassement, peur des catastrophes naturelles, peur des étrangers…