13.12.2024
Côte d’Ivoire : impact de la nouvelle constitution et état des lieux
Interview
4 novembre 2016
Cette constitution, la troisième, prépare la naissance d’une IIIe République en Côte d’Ivoire. Une de ses caractéristiques majeures est la suppression de l’« ivoirité ». Mis en place en août 2000, lors de la seconde constitution, ce principe établissait comme critère d’éligibilité à la présidence du pays le fait d’être né de père et de mère ivoiriens. Cela avait un impact important auprès des personnes originaires du Burkina Faso, et notamment Alassane Ouattara, l’actuel président (d’origine burkinabaise, il n’avait pu se présenter aux élections de 2010 qu’à la faveur d’un décret).
Deuxième élément important, la création d’une seconde chambre, un Sénat, où deux tiers des représentants sont élus au suffrage indirect. L’autre tiers sera, en revanche, nommé par le président. Cette disposition cristallise les critiques de l’opposition qui dénonce l’autoritarisme d’Alassane Ouattara.
Une autre disposition a fait couler de l’encre est celle de la création d’un poste de vice-président. L’initiative est originale car elle s’inspire du système américain (en cas de décès ou d’incapacité, le vice-président doit succéder au chef de l’Etat) alors que la constitution ivoirienne s’inscrit plus dans une tradition présidentielle à la française. L’opposition accuse Alassane Ouatarra de vouloir nommer un vice-président pour en faire son dauphin.
Il existe d’autres nouveautés, moins importantes, à cette constitution : l’abolition de la limite d’âge à 75 ans pour se présenter à une élection présidentielle et l’abaissement de l’âge plancher à 35 ans. En outre, la nouvelle constitution formalise également la création d’une chambre nationale des rois et des chefs traditionnels.
Lors du scrutin, l’abstention a été forte (58%) et l’opposition a rejeté l’ensemble des textes. Elle est, aujourd’hui, en situation de faible représentativité et de très forte contestation du pouvoir. Elle considère que la création d’une nouvelle constitution vise à renforcer la main mise d’Alassane Ouattara sur la Côte d’Ivoire.
Quel bilan, en termes politique et économique, dressez-vous d’Alassane Ouattara depuis son arrivée à la présidence du pays en 2011 ?
Le bilan d’Alassane Ouattara, sur le plan économique, est plutôt une réussite. Il est, en effet, parvenu à sortir un pays en pleine crise économique, sociale et politique. Il a notamment fait jouer ses relations, dans les milieux financiers et en tant qu’ancien directeur adjoint du FMI, afin d’attirer des investisseurs et des capitaux étrangers. Ainsi, son arrivée au pouvoir a indéniablement favorisé la reprise de la croissance et de l’investissement.
Ce retour à la croissance n’a cependant profité qu’à une partie des Ivoiriens dans un pays aux inégalités conséquentes. De ce point de vue, Alassane Ouattara peine à répondre aux défis d’une croissance inclusive.
Sur le plan politique, le pays est, certes, stabilisé après dix ans de guerre, mais le désarmement est encore loin d’être acté. Si le « Désarmement Démobilisation Réinsertion » (DDR) des militaires engagés dans les conflits s’est réalisé dans de bonnes conditions, il n’a pas été suivi d’une réconciliation nationale.
Du point de vue de l’opposition et des partisans de Laurent Gbagbo, il existe, en Côte d’Ivoire, une justice à deux vitesses. L’échec d’Alassane Ouattara sur cet aspect est criant. Il a beau avoir mis en place une Commission dialogue, vérité et conciliation, comme ce fut le cas en Afrique du Sud, celle-ci n’a pas donné les résultats escomptés. Les tensions subsistent et la Côte d’Ivoire gagnerait à ce que l’opposition soit plus représentée.
Quels sont les principaux atouts économiques de la Côte d’Ivoire ? Quel rôle joue le pays sur la scène régionale ?
Le secteur agricole est un secteur dynamique et constitue un atout essentiel de la Côte d’Ivoire, premier producteur de cacao au monde. Mais cette économie de rente à ses limites. La Côte d’Ivoire manque notamment de terres pour accroître ses productions agricoles.
Le pays jouit d’une relative diversification de son économie mais il doit faire face à plusieurs défis : la transformation des produits primaires avec la mise en place d’une dynamique d’industrialisation et l’accès aux nouvelles technologies numériques, notamment dans le domaine de l’information et de la communication. L’un des principaux défis sera la création d’un réseau de micro-entreprises et de PME qui seraient en relation de sous-traitance ou de complémentarité avec des groupes plus importants, nationaux ou multinationaux. Cela favoriserait l’émergence d’un tissu économique en mesure d’offrir des perspectives aux jeunes car la Côte d’Ivoire ne fait pas figure d’exception dans une région où le taux de chômage chez les jeunes reste élevé. L’émergence de ce tissu économique pourrait se constituer autour d’une croissance verte en passant, par exemple, de la biomasse et des centrales thermiques, génératrices de gaz à effet de serre, à l’énergie solaire, éolienne ou hydraulique. La transition constitue, à mon sens, un enjeu stratégique pour la région et pour la planète.
Sur la scène régionale, le Côte d’Ivoire est un moteur de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest africaine) à l’instar du Ghana et du Nigeria. La Côte d’Ivoire et les autres membres de l’UEMOA sont économiquement liés par une union douanière mais ils sont également liés par les flux d’investissement et les flux migratoires. Elle doit, en ce sens, faire valoir son rôle de leader régional. Concrètement, elle doit devenir, avec le Ghana, un pôle d’attractivité pour les investissements et pour les migrants qui, aujourd’hui, se dirigent vers le nord ou vers le sud. La Côte d’Ivoire doit également aider les pays enclavés et les perdants d’une union douanière qui ne peut prospérer qu’avec le transfert de ressources des gagnants vers les perdants. Son rôle au sein de l’UEMOA est donc central.
Pour résumer, les défis que doit relever la Côte d’Ivoire sont les suivants : sécurité, stabilité, reprise de la croissance et des investissements, ainsi que l’accueil des migrants.