12.11.2024
Fin de l’opération Sangaris en Centrafrique : une réalité sur le terrain nettement moins apaisée que le bilan officiel
Presse
30 octobre 2016
Il faut se souvenir que la résolution 2127 du Conseil de sécurité des Nations unies, votée à l’unanimité le 5 décembre 2013, autorisait avant tout « le déploiement de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA) pour une période de 12 mois ».
Ce déploiement devait être appuyé par des forces françaises autorisées « à prendre temporairement toutes mesures nécessaires ». Peu de temps avant l’adoption de cette résolution, différents moyens militaires français avaient été mis en place en Centrafrique et dans les pays voisins. Dès le lendemain du vote, environ 1 000 militaires français sont venus renforcer les 240 membres du détachement permanent installé depuis 2002 pour protéger les ressortissants français et entraîner les troupes locales. Très vite, le Président Hollande annonce que cet effectif sera porté à 1 600 hommes et que l’opération durera « aussi longtemps que nécessaire ». Le but affiché est de désarmer les belligérants et de permettre le retour à une situation de stabilité concrétisée par de vraies élections.
Les forces françaises, qui ne seront jamais seulement des « forces d’appui », ont été les seules à agir dès les premiers jours. Les actions de sécurisation commencent immédiatement, marquées par des combats limités. Le volume de la MISCA atteint 4 500 hommes en janvier 2014. Les effectifs français montent à 2 000 hommes et les opérations de désarmement commencent en février, en même temps que la quasi-totalité des musulmans sont évacués de Bangui. Les combats et les massacres continuent, pendant que les forces françaises se concentrent sur l’extension de la zone de responsabilité des militaires de l’Union Africaine à l’ensemble du pays. A partir de juin 2015, l’effectif français est ramené à 900 hommes alors que la MINUSCA, qui a remplacé la MISCA en septembre 2014, compte désormais – au moins en théorie – plus de 10 000 hommes. Le 30 mars 2016, le nouveau Président, Faustin Archange Touadéra, est investi en présence du ministre français de la Défense. La fin de l’opération Sangaris, dont l’effectif est déjà réduit à 350 hommes, est annoncée pour avant la fin 2016.
Les forces françaises, dont 15 000 hommes sont passés sur le terrain, ont eu 3 morts et 120 blessés, mais un nombre très élevé de leurs membres (12%, contre 8% en Afghanistan), spectateurs de violences extrêmes, sont victimes de stress post traumatiques. La MINUSCA a eu une vingtaine de tués. A partir de la fin de 2014, les violences ont largement diminué, mais se sont encore poursuivies en 2015. Le conflit aurait fait entre 3 000 et 6 000 morts et un million de déplacés.
Dans quelle mesure cette opération a-t-elle illustré l’absence de coopération militaire ? Lesquels de nos alliés ont décidé de nous épauler ?
Avant même le lancement « officiel » de l’opération Sangaris, la France a sollicité l’aide de ses alliés, en particulier sur le plan de la logistique aérienne, stratégique ou intra théâtre, domaines particulièrement sensibles alors que la flotte nationale est en forte sous-capacité. Dans les premiers jours, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis ont fourni quelques rotations d’avions de transport stratégiques C17, l’Allemagne annonçant la mise à disposition d’un avion de transport médicalisé. La Lituanie, la Pologne, l’Espagne et la Belgique ont assuré un certain nombre de missions de transport tactique.
Les interventions de troupes au sol alliées se sont limitées à une sécurisation de l’aéroport et de certains quartiers de Bangui, dans le cadre de l’opération européenne EUFOR RCA, qui a concerné 700 hommes au maximum (dont 250 Français, des Espagnols, Finlandais, Italiens, Géorgiens et Polonais), avec un centre de commandement basé (pourquoi ?) en Grèce. L’Europe a aussi lancé, pour 2016, de petites coopérations visant à la formation de militaires centrafricains et à l’aide à la bonne gouvernance.
Comment justifier aujourd’hui l’opération Sangaris ? Alors que son coût est estimé à 200 millions d’euros par Jean-Yves Le Drian, visait-elle à défendre divers intérêt français ? Dans quelle situation laisse-t-elle le pays ?
L’opération Sangaris a globalement atteint les premiers objectifs fixés par le président de la République, qui étaient de désarmer les belligérants et de faire cesser les massacres. Elle a aussi aidé à la difficile montée en puissance d’une force africaine capable, mieux que les précédentes, d’assumer presque seule une opération de maintien de la paix. Par contre, malgré les discours optimistes, le futur est très loin d’être garanti. La situation politique actuelle n’est guère porteuse d’avenir. Le pays reste coupé en deux, avec un pouvoir central très faible.
La fin de l’opération ne se concrétise pas non plus par le départ des derniers militaires français, puisque 350 d’entre eux resteront sur place comme force d’appui de la MINUSCA, donc sans changement ni dans les effectifs ni dans la mission avec ce qui existe depuis plusieurs mois. Et, depuis quelques jours, les exactions semblent reprendre. De nouveaux affrontements entre bandes armées ont fait des dizaines de morts.
Sangaris a permis de défendre le premier des intérêts de la France, qui est de sauvegarder la vie de ses ressortissants. Par contre, les accusations de viols et autres exactions qui auraient été commis par des militaires français laisseront des traces. Le chiffre de 200 millions d’euros, annoncé par le Ministre, est celui du surcoût par rapport à ce qui aurait été dépensé si l’opération n’avait pas eu lieu. Il ne tient pas compte des surconsommations de potentiel des matériels engagés, ni de l’usure des personnels.