ANALYSES

Quel bilan pour le « pivot » asiatique de Barack Obama ?

Presse
2 novembre 2016
Les déclarations tonitruantes le 20 octobre du président Rodrigo Duterte lors de son voyage en Chine, selon lesquelles les Philippines « se sépareraient des Etats-Unis » tombent à une période où l’Amérique a davantage les yeux rivés sur sa vie politique intérieure, et l’élection du 8 novembre, que sur le Pacifique. Barack Obama achèvera en janvier ses deux mandats présidentiels, et sa voix ne portera plus de la même façon dans la période dite « lame duck » – à savoir pendant les dix semaines d’intérim.

Pourtant, c’est bien un camouflet que subit la Maison Blanche, avec le divorce claironné par le président philippin qui tourne clairement le dos à la politique de son prédécesseur, Benigno Aquino, lequel avait déclenché la procédure arbitrale contre la politique chinoise en mer de Chine du sud, recevant en juillet l’imprimatur du tribunal international arbitral de La Haye, salué par les Etats-Unis et par l’Union européenne au nom du respect du droit international de la mer.

Le positionnement du nouveau chef de l’Etat philippin a de quoi surprendre lorsqu’on connaît l’histoire de ce pays, et ses liens avec l’Amérique, ancienne puissance coloniale qui garda longtemps une base navale aux Philippines à Subic Bay, fermée en 1992, et Clark Bay, qui accueille à nouveau depuis 2016 une présence américaine aérienne. Sous la présidence d’Aquino, il fut question de renforcer davantage la coopération militaire.

Les études de Pew Research montrent clairement que les Philippins sont parmi les peuples qui possèdent une des opinions les plus positives des Etats-Unis : 92 %, selon l’enquête de 2015. Les paroles à l’emporte pièce de Duterte, très favorables à un rapprochement avec la Chine (de quoi ravir cette dernière), ne refléteraient donc peut-être pas la réalité de l’opinion publique philippine.

Il n’empêche que les dégâts n’en sont pas moindres pour Washington, à l’heure du bilan présidentiel d’Obama. Jamais le président d’un pays d’Asie du Sud-Est ne s’est jeté aussi ouvertement dans les bras de Pékin, renforçant ouvertement le leadership chinois en Asie.

Vis à vis de ce continent, la stratégie d’Obama tenait en un mot : le « Pivot » vers l’Asie, tel que décrit par la Secrétaire d’Etat Hillary Clinton dans un article publié dans la revue Foreign Policy en 2011.

Il s’agissait de souligner le poids économique et stratégique de ce continent d’avenir, à la fois sur le plan mondial et vis à vis des Etats-Unis. A la manœuvre, deux personnages-clés : Kurt Campbell – adjoint de Hillary Clinton chargé de l’Asie -, qui vient de défendre bec et ongle dans un livre éponyme (The Pivot, Twelve Books, New York, 2016) cette politique menée principalement pendant la deuxième partie du premier mandat de Barack Obama ; et Jeffrey Bader, principal conseiller du président pour les questions asiatiques.

L’argument du Pivot – plus tard requalifié de « rééquilibrage » (rebalancing) consistait à mobiliser les forces de la diplomatie américaine à l’endroit d’une région jugée prioritaire. Il visait aussi à mettre en avant le rôle de l’Amérique face à la montée en puissance de la Chine. Or cette dernière n’a cessé de multiplier les initiatives, tant sur le plan stratégique en mer de Chine que sur le plan économique à travers la Banque Asiatique pour les Investissements dans les Infrastructures (AIIB) ou le projet maritime et terrestre « Belt and Road ».

Le rééquilibrage américain s’est en fait heurté à la renaissance de l’impérialisme chinois.

L’inquiétude de pays alliés, comme le Vietnam, Singapour, l’Indonésie ou la Malaisie, sans parler du Japon, est patente.

Depuis trois ans, Pékin a bâti une architecture quasi-virtuelle consistant à offrir son aide, physique et financière, aux pays de la région élargie (de l’Asie du Sud-Est à l’Asie centrale, en passant par le sous-continent indien). Les sirènes chinoises ont déjà séduit nombre de pays à commencer par le Pakistan, le Laos, le Cambodge ou le Kazakhstan qui bénéficient déjà de projets d’infrastructures importants lancés en « collaboration » avec la Chine. Avec son siège à Pékin, la Banque Asiatique pour les Investissements dans les Infrastructures est à présent opérationnelle et fonctionne selon des normes internationales. Idem pour le Silk Road Fund qui servira à financer certaines infrastructures.

Sur le plan stratégique, la Chine ne cesse de démontrer sa puissance militaire comme lors du défilé à Pékin célébrant le 70ème anniversaire de la fin de la deuxième guerre mondiale, en septembre 2015, ou en construisant toujours plus de prolongements aux îlots de mer de Chine du sud, ainsi – et c’est plus récent – de mer de Chine orientale, dans la zone disputée par Tokyo et Pékin (îles Senkaku/Diaoyutai).

La question de Taïwan, qui a élu cette année une présidente indépendantiste, Tsai Ing-wen – reste en suspens.

Certes, le Pentagone a beau jeu de répéter qu’avec ses onze porte-avions, la Chine – un porte-avion, et un autre en construction – ne fait pas le poids face à la puissance militaire américaine, mais l’Armée Populaire de Libération semble bénéficier de toujours davantage de moyens en Asie.

Les déclarations du candidat républicain Donald Trump, laissant entendre qu’il procéderait au retrait des troupes américaines au Japon ou en Corée si ses pays n’acceptaient pas de payer la totalité des frais de l’armée américaine, n’ont pas rassuré les alliés traditionnels de Washington – surtout à l’heure où la Corée du nord semble déterminée à poursuivre son programme nucléaire et multiplie les provocations depuis quelques mois. Au delà de la zone démilitarisée entre les deux Corées, c’est non seulement Séoul et Tokyo qui sont visés par les missiles nord-coréens, mais aussi Washington, qui entretient encore 35 000 soldats sur la péninsule coréenne.

Enfin, le projet-phare de l’Administration américaine sortante en Asie avait pour nom le Traité Trans-pacifique (TPP). Aujourd’hui, ni Donald Trump ni la candidate démocrate Hillary Clinton ne veulent entendre parler de ce texte signé par onze pays dont bon nombre d’alliés proches des Etats-Unis.

Favorite des sondages, Clinton a promis de réviser ce traité avant de le faire passer devant le Congrès après avoir entendu les critiques de nombreux acteurs syndicaux américains pendant la campagne. C’est donc un autre camouflet pour Barack Obama qui soutient pourtant son ancienne secrétaire d’Etat. Sans doute tient-il principalement à préserver son propre héritage politique.

Qu’en serait-il de la présence américaine en Asie-Pacifique sous une présidente Clinton ? Si l’on en croit les projections du Pentagone, la concurrence sino-américaine ne va faire que s’accentuer, obligeant les Etats-Unis à maintenir leur présence militaire en Asie. Ancienne secrétaire d’Etat, experte des affaires internationales contrairement à son adversaire, Hillary Clinton devra tenir compte de cette perspective. La Chine n’a pas oublié ses déclarations en faveur des droits de l’homme lors de la conférence des Nations Unies sur les femmes en 1995, ni ses propos fermes lorsqu’elle dirigeait la diplomatie américaine. En tant que candidate, elle doit tenir compte d’une opinion publique inquiète de la concurrence chinoise dans le domaine économique – ce que n’a pas manqué de révéler Hillary Clinton lors du dernier débat de la présidentielle. En clair, pas question de négliger l’Asie tant pour des raisons géopolitiques qu’économiques.

« Si nous ne fixons pas les règles, la Chine les fixera » avait dit Obama. Clinton n’en pense pas moins.

A Washington, le clan des sino-sceptiques a de beaux jours devant lui.
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