28.11.2024
Sauver le climat, quelle réponse des banques ?
Tribune
28 octobre 2016
Dans la continuité de l’accord de Paris en décembre 2015, les bonnes nouvelles se sont accumulées dans le champ environnemental. Depuis le 5 octobre 2016, le seuil minimum permettant l’entrée en vigueur du traité de Paris a été atteint, à savoir 55 pays représentant au moins 55 % des émissions de Gaz à effet de serre. Dès le 4 novembre prochain, soit 30 jours après l’atteinte de ce plancher, l’accord aura une valeur internationale. Dès le début du mois de septembre et à la veille du sommet du G20 à Hangzhou, la signature simultanée du traité par l’Empire du milieu et par les Etats-Unis, soit près de 40 %[1] des émissions globales, avait permis d’envisager une évolution positive et une ratification de l’accord avant la tenue de la COP 22 au Maroc à Marrakech, du 7 au 18 novembre prochain.
Un contexte encore favorable aux investissements durables
D’autres facteurs intervenus sur la première partie de l’année poussent à l’optimisme. Ainsi, les investissements dans les énergies renouvelables (ENR) au niveau mondial ont, selon le dernier rapport de l’UNEP[2], Global Trend in Renewable Energy Investment, atteint un nouveau record à près de 286 milliards de dollars[3] en 2015. Les investissements ENR dans les capacités électriques ont atteint près de 266 milliards de dollars, soit plus du double du montant observé pour les investissements réalisés dans les centrales à charbon et à gaz (130 milliards de dollars).
Le montant global d’investissement dans les ENR, en hausse de 5 % par rapport à 2014, dissimule de fortes disparités régionales et laisse apparaitre un leadership désormais affirmé de la Chine dans le secteur (103 milliards de dollars d’investissements). Le pays représente près de 36 % des investissements mondiaux, avec un taux de croissance annuel moyen de 38 % depuis 2004 ! L’Inde (10,2 milliards de dollars d’investissements) et le Brésil (7,1 milliards) complètent le panorama des émergents dans les ENR[4]. En Europe, le constat est beaucoup plus alarmant. Certes les investissements ont atteint environ 49 milliards d’euros, mais ils enregistrent une forte diminution (21 %) par rapport à 2014. En outre, ces montants restent très éloignés des niveaux records enregistrés en 2011, à près de 123 milliards de dollars. Ce retournement marqué est largement dû au contexte macroéconomique observé en Europe et à l’austérité budgétaire (diminutions ou coupes fiscales dans certains pays européens (Espagne, Roumanie…), qui réduisent de facto les incitations à investir dans les ENR. Seul le Royaume-Uni, avec une véritable dynamique d’investissements dans les éoliennes off-shore, est à contre-courant de la tendance européenne globale.
D’un point de vue macroéconomique, la croissance mondiale résiste autour de 3,1 % et le risque Chine, même s’il reste toujours présent, ne focalise plus autant l’attention des investisseurs qu’en fin d’année dernière. En outre, le secteur des ENR pourrait bénéficier de la remontée des prix du pétrole (autour de 50 dollars le baril), alors que les cours de l’or noir étaient à leur plus bas niveau en décembre 2015. .
D’un point de vue monétaire et financier, le contexte est certes déroutant et « jamais vu », mais il n’en existe pas moins une conjoncture favorable aux investissements durables. Les politiques monétaires américaines, et plus généralement à travers le monde, restent globalement et exceptionnellement accommodantes. En effet, la hausse des taux d’intérêt directeurs décidée par la Réserve Fédérale des Etats-Unis (FED), par l’intermédiaire de sa présidente Janet Yellen, le 15 décembre 2015, devait annoncer le début d’une remontée graduelle des taux d’intérêt directeurs américains, concluant ainsi un cycle monétaire inédit de près de 7 ans. Or il n’en fut rien ! En résulte un environnement macro financier inédit : d’une part, un niveau « plancher » des taux d’intérêt inégalé depuis la période de la Renaissance[5] et une abondance des ressources financières dans la plupart des économies avancées : de l’ordre de 15 % du PIB en flux annuels (OCDE), soit 7 trillions de dollars, et l’on estime le stock d’épargne géré par les investisseurs institutionnels dans le monde à plus 110 trillions de dollars ! Cette situation paradoxale pousse les investisseurs à rechercher de nouvelles sources de rendement et beaucoup appellent à une relance des investissements de grande envergure comme les projets d’infrastructure. Car avec l’aplatissement de la courbe des taux d’intérêt, jamais le long terme ne fut aussi bon marché (ou respectivement le présent peu valorisé sur les marchés financiers).
A la recherche d’un financement structurel vert
Toutefois, certains éléments invitent également à la prudence. En effet, le ralentissement de la croissance en Chine est à coup sûr précurseur d’une décélération des investissements dans les ENR en 2016 -le pays ayant enregistré une quasi-stagnation (0,5 %) de sa consommation d’électricité l’année dernière- et les premières tendances tendent à montrer une forte décélération en 2016.
Dans ce contexte, la question qui se pose désormais reste celle d’un financement structurel de la transition énergétique et des investissements dans les ENR. Lors de la COP 21, il a été convenu qu’il faudrait consacrer près de 100 milliards par an à des projets ENR à partir de 2020. Plus globalement, la problématique financière risque de devenir le véritable nœud de la lutte contre le changement climatique.
De nombreuses initiatives sont en train d’émerger à l’heure actuelle mais là encore les disparités régionales risquent d’être très marquantes. En effet, les problématiques européennes et chinoises observées à l’heure actuelle sont particulièrement intéressantes.
Les institutions bancaires européennes souffrent actuellement d’un problème de rentabilité structurel en lien notamment avec la politique monétaire de faibles taux d’intérêt initiée par Mario Draghi mais également en raison de la faible croissance enregistrée depuis la crise financière de 2007-2008. En outre, certaines banques allemandes ou italiennes ont enregistré des chocs externes particulièrement marqués (exposition marquée notamment au financement de projet dans le secteur pétrolier, amendes records pour la Deutsche Bank aux Etats-Unis, etc.) et certains analystes pointent du doigt un risque systémique important en Europe à l’heure actuelle. En outre, et face à leur responsabilité dans la crise financière, le système bancaire et financier européen a été soumis à de nouvelles réformes, notamment en matière d’exigences de fonds propres et de liquidité.
Dans ce contexte, les banques peuvent-elles sauver le climat ? Certaines propositions de réformes laissent entendre qu’un système d’incitations pourrait être mis en place. Un système de bonus-malus pourrait notamment être envisagé. Le schéma serait le suivant : le financement d’un projet accompagnant une transition énergétique bas-carbone (projet d’infrastructures durables, d’efficacité énergétique, d’adaptation aux risques climatiques, etc.) ne serait pas soumis aux mêmes contraintes de liquidités et/ou de solvabilité qu’un projet dans une énergie carbonée. Dès lors, l’effet de levier de financement des projets durables s’en trouverait rehaussé contribuant ainsi à une réorientation des actifs bancaires. Cela pourrait notamment alimenter les demandes de crédits pour les investissements dits «compatibles» à une transition énergétique bas-carbone mondiale.
Les banquiers pourraient ainsi contribuer à sauver le climat ! Mais pourraient-ils par le même schéma résoudre les problèmes structurels auxquels leurs banques font face ? En œuvrant pour une meilleure transition énergétique, elles se prémunissent contre un risque climatique. Mais leur résilience face à une crise financière de l’ampleur de celle que nous venons de subir s’en trouve-t-elle améliorée ? Le fait qu’elles ne maitrisent ni la politique de la Banque centrale européenne (BCE), ni la croissance en Europe, tout comme aux Etats-Unis, interroge. Certains économistes (R. Gordon, L. Summers) ont mis en exergue la lenteur de la reprise observée dans certains pays développés, notamment aux Etats-Unis et ont remis au goût du jour la théorie développée par Alvin Hansen, en 1938, relative à la stagnation séculaire. Financer la transition énergétique permettrait sûrement ainsi de relancer l’activité bancaire mais ce mouvement se heurterait à deux écueils : les rendements des projets ENR, par exemple, restent toujours inférieurs à ceux des projets énergétiques carbonés et une réallocation excessive des crédits bancaires en faveur des projets durables pourrait déséquilibrer leurs actifs. Ce deuxième point est essentiel, une réallocation massive pourrait ainsi contribuer à exposer les banques à une dévalorisation de leurs actifs en cas, par exemple, d’éclatement d’une bulle sur les énergies renouvelables ou au sein du secteur immobilier, à la fois porteur de risque systémique financier et climatique. Se pose ainsi la question du type d’acteurs devant financer la transition énergétique et celle de l’intégration à une politique plus globale favorable à l’investissement dans les projets durables ?
Une banque européenne spécialisée dans les projets durables (ENR, efficacité énergétique, etc.) ?
La Chine donne un exemple intéressant d’intégration de la question financière dans sa propre transition énergétique. Les investissements nécessaires à la réalisation du 13ème plan sur le plan environnemental vont demander près de 350 milliards de dollars. Dès 2014, le gouvernement chinois a mis en place une commission (Green Finance Task Force) chargée de faire des recommandations en matière d’incitations dans les projets ENR. Ces dernières intègrent un système de bonus-malus permettant d’augmenter la rentabilité des projets durables et de diminuer celle des projets polluants. Plus globalement la Chine va proposer une infrastructure globale favorable à l’investissement vert : la création d’institutions financières spécialisées dans les projets ENR, une politique fiscale et financière incitative (prêts subventionnés, création de taxes créant de la distorsion en faveur des projets durables…), le développement des marchés de CO2 et la création d’un système de rating vert (indice boursier environnemental…) ainsi que d’un système d’assurance obligatoire pour mettre en exergue les potentiels dommages des projets polluants. Cet arsenal a le mérite d’intégrer différents outils économiques et cherche à prendre en compte la spécificité des projets de décarbonation à travers la création d’une institution spécialisée.
L’Europe devrait peut-être s’inspirer de la Chine dans sa gestion des projets de décarbonation. La création d’une banque européenne spécialisée constituerait un projet sur lequel l’Europe pourrait capitaliser pour relancer sa construction. Cette institution centralisatrice pourrait agir en chef d’orchestre de la massification des investissements durables intermédiés par des banques locales, tout en les protégeant de l’éclatement d’une nouvelle bulle liée à la redirection des actifs grâce, par exemple, à un mécanisme de résolution à l’échelle européenne. Un projet tourné vers l’avenir et source d’intégration, un projet qui, en outre, permettrait à l’Europe de concurrencer le leadership présent et futur de la Chine sur ces questions.
[1] Selon la comptabilité de l’ONU, la Chine, premier émetteur mondial, représente 20 % des émissions et les Etats-Unis environ 18 %.
[2] United Nations Environment Programme, http://fs-unep-centre.org/publications/global-trends-renewable-energy-investment-2016, 24 mars 2016.
[3] Ce chiffre comprend les investissements dans les capacités additionnelles, dans les nouvelles technologies et dans la R&D.
[4] Pour une étude plus détaillée des investissements dans les ENR, lire notamment Emmanuel HACHE, Renouvelables, derrière les chiffres, quelle géopolitique énergétique mondiale ? Quelle place pour l’Europe ?, 12 avril 2016, http://www.iris-france.org/74791-renouvelables-derriere-les-chiffres-quelle-geopolitique-energetique-mondiale-quelle-place-pour-leurope/
[5] Tiré de Granjean et Martini ; Financer la Transition Energétique ; 2016.