17.12.2024
Amérique latine : regain de flux migratoires, Etats au pied du mur
Tribune
24 octobre 2016
La tension entre Grand Nord anglo-saxon et Sud latin ne date pas d’aujourd’hui. Les déséquilibres de puissance, économique et militaire, ont depuis deux cent ans alimenté des glissements brutaux de population et de souveraineté. On l’avait un peu oublié au tournant du millénaire. La conjoncture avait de façon inattendue et prolongée tiré la croissance vers des sommets historiques. Des millions de migrants potentiels, sortis de la grande pauvreté, avaient alors choisi de rester chez eux, au Mexique, au Brésil ou au Pérou.
Les aiguilles du compteur croissance ont ces derniers temps fait du rétropédalage. Elles sont au-dessous de zéro en Argentine, au Brésil, en Equateur, au Venezuela. Elles ont réduit brutalement leur envolée du Chili au Mexique en passant par la Colombie. Résultat des courses, la pauvreté et le chômage sont de retour, les violences sociales ont repris du nerf d’Amérique centrale au Venezuela. Cyclones dans la Caraïbe, et tremblements de terre au Chili, en Equateur et en Haïti n’ont rien arrangé.
Résultat de ce retournement de situation, la route de l’exil déborde de candidats venus de tous les horizons latino-américains. Le Nord, les Etats-Unis, captent l’essentiel des flux. C’est là qu’il y a l’argent, l’espoir donc d’en gagner, c’est là aussi que beaucoup ont déjà des amis ou de la famille partis à d’autres époques. Pressés par le dénuement et les violences locales, Guatémaltèques, Honduriens, Salvadoriens adultes ont ainsi poussé des milliers d’enfants et d’adolescents à prendre la route.
Les réseaux mexicains de trafic de main d’œuvre y ont retrouvé dynamisme et conquêtes de nouveaux marchés. Les filières se sont consolidées et le carnet des opportunités a été élargi. Africains et Asiatiques les utilisent de façon notable. Une embarcation échouée le 10 octobre 2016 sur la plage nicaraguayenne de Masapa, avait ainsi pour passagers, des Congolais, Togolais, Sénégalais et Haïtiens. Ces derniers mois, les Cubains qui désormais peuvent moyennant finance tout de même, entrer et sortir de leur pays comme bon leur semble ont été tentés par l’aventure. La réconciliation de La Havane avec Washington a redoré l’attractivité des Etats-Unis. Plusieurs milliers de Cubains ont ainsi débarqué en terre ferme. Equateur, Colombie, Panama ont vu arriver des « touristes » sans visa et peu fortunés venus gonfler les colonnes de ceux qui remontent d’Amérique centrale vers le Bravo-Rio Grande.
Ces marées humaines in fine ont fait irruption sur le sol et la campagne électorale présidentielle des Etats-Unis. Côté républicain, on affiche haut et fort les risques et les menaces sur l’identité locale WASP (White Anglo-Saxon Protestant). On brandit la truelle d’un Limes de Chine plus haut et plus performant. On annonce plus de gardes-frontières, plus d’armes pour contenir les envahisseurs. On projette des lois et des mesures refoulant les sans-papiers de façon plus productive. Versant démocrate, on table sur la concertation et le bon voisinage avec les pays du sud pour canaliser les flux, et on propose à un Congrès, jusqu’ici réticent, la régularisation des clandestins dotés d’une ancienneté vérifiable.
Ces marées humaines ont de façon imprévue bousculé bien des équilibres latino-américains. Le retour non programmé de l’asymétrie Nord-Sud a paniqué bien des gouvernements. Ils cherchent à amadouer Washington, en vue de préserver l’essentiel, la non expulsion de ceux qui sont déjà aux Etats-Unis, la garantie d’une porte restant malgré tout ouverte à leurs nationaux. Pour alléger les pressions sur leur marché du travail, pour préserver les envois de dollars par les migrants, illégaux comme réguliers. Concertations et rencontres se sont donc multipliées entre chefs d’Etat centraméricains et nord-américain. Mieux ou pire, le président mexicain, Enrique Peña Nieto, a invité le candidat anti-immigré et anti-mexicain, Donald Trump. Ce dernier a interprété ce geste unilatéral comme un blanc-seing politique et financier à son projet de mur frontalier.
Plus inattendus, ces courants migratoires ont déstabilisé les équilibres régionaux. En dominos du Nicaragua à la Colombie, les gouvernements ont verrouillé leurs frontières. Bien que membre de l’ALBA, le Nicaragua n’a que faire des migrants cubains. Il les a donc bloqués ou renvoyés vers le Costa-Rica, le 15 novembre 2015, lequel a fait de même avec Panama. Ce petit jeu de massacre a dégénéré en crise bilatérale entre Panama et la Colombie. Le 9 mai 2016, Panama a mis en place pour « blinder » la frontière colombienne, « l’Opération Bouclier ». Le 6 août 2016 Bogota a commencé à rapatrier les migrants cubains volontaires vers leur pays et menacé de sanctions les ressortissants colombiens qui tenteraient de les héberger clandestinement. La faillite économique du Venezuela est en passe d’ajouter des flux à ces flux. La Colombie est en première ligne. Mais aussi et c’est nouveau le Brésil qui n’est pourtant pas au mieux de sa forme économique. Plus de 30 000 Vénézuéliens ont passé la frontière sud, poussés par la crise. L’Etat brésilien de Roraima a, le 17 octobre 2016, lancé un message de détresse à la fédération.
Pour une fois bien inspiré, le président mexicain, Enrique Peña Nieto, s’exprimant le 19 septembre 2016, à New-York, devant la « Conférence de haut niveau sur les grands déplacements de réfugiés et migrants », a tiré de ces évènements la lapalissade suivante : « Aucune barrière ne peut arrêter les mouvements de population, pas plus les naturelles, que les artificielles ».