ANALYSES

Négociations sur la Syrie : « Il faut faire un pas vers la Russie »

Presse
14 octobre 2016
Interview de Didier Billion - La Croix
« Ces négociations sont tout à fait opportunes. Sur fond de situation apocalyptique à Alep, la petite musique selon laquelle les Russes n’entendent rien ferme la porte à toute tentative de solution politique ou diplomatique. Le contexte est infiniment compliqué, mais il n’y a pas d’autre possibilité que de négocier. Certes, Vladimir Poutine n’est pas un interlocuteur facile. Certes, le cessez-le-feu prévu par l’accord du 9 septembre entre la Russie et les États-Unis a été rompu. Mais tout ce qui permet d’avancer est bon à prendre pour arrêter le massacre aujourd’hui.

Il faut replacer la situation sur le terrain politique. À cet égard, l’idée de la France de réintroduire le sujet au niveau du Conseil de sécurité de l’ONU n’était pas absurde (1). C’était aussi un moyen d’éviter le face-à-face entre la Russie et les États-Unis, qui a eu pour conséquence que plusieurs parties de l’accord du 9 septembre dernier n’ont pas été rendues publiques, empêchant tout contrôle de l’ONU.

La première chose à remettre sur la table dans l’immédiat à Lausanne, c’est la fin des bombardements et la possibilité de convois humanitaires, qui vont de pair. Ensuite, on peut imaginer un plan, avec des séquences. Pour cela, au-delà des déclarations médiatiques, il s’agit de s’asseoir autour d’une table, sans caméra, et de discuter point par point. Les Russes en sont capables. Mais les Occidentaux n’ont pas le rapport de force pour eux. Ces négociations n’interviennent pas au bon moment. Vladimir Poutine a bien compris que, pris dans leur campagne électorale, les États-Unis sont à la traîne sur le dossier syrien. Il fait donc monter les enchères, c’est le jeu habituel d’une négociation dans une période de crise.

Dans ce contexte, il faut faire un pas vers la Russie, qui peut consister à accepter de ne plus considérer les groupes liés aux islamistes comme des interlocuteurs. Or, la diplomatie française considère avoir encore des interlocuteurs dans la partie rebelle d’Alep, où elle tente de sauver les restes de l’armée syrienne libre (ALS, rébellion, NDLR). C’est une erreur d’appréciation sur le rapport de force local, la résistance étant organisée par le front Fatah al-Cham (anciennement front Al-Nosra, affilié à Al-Qaida) et les rebelles étant défaits et désorganisés. Sur ce point, les Russes ne sont hélas pas loin de la vérité.

Vladimir Poutine saurait mesurer l’importance de ce pas, car il est intraitable sur le sujet. Il faut être réaliste et admettre que le rapport de force est favorable à la Russie. C’est plus productif que les postures médiatiques consistant à dire « Ça suffit ! », qui soulignent l’impuissance. »

Propos recueillis par Marianne Meunier
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